Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/492

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Mais c’est trop nous occuper de ces manœuvres de boutique. Nous n’avons du reste jamais pris la Plebe au sérieux, même quand elle ouvrait toutes grandes ses colonnes aux articles qu’elle demandait à nos amis ou qu’elle empruntait sans façon au Bulletin. Nous la laisserons continuer à annoncer à son de trompe, à sa 3e et à sa 4e pages, son Eau merveilleuse pour teindre les cheveux et la barbe, son cosmétique, sa poudre de riz, ses boîtes à musique, son Extrait de Kumys, ses billets de théâtre et ses brochures prétendues socialistes, et nous entretiendrons à l’avenir nos lecteurs de choses plus sérieuses.


À la fin de novembre eut lieu à Florence le Congrès des sociétés ouvrières de la Toscane : trente et une sociétés y furent représentées par cinquante délégués. Ce Congrès donna son adhésion au programme de l’Internationale. Une circulaire de la Commission italienne de correspondance, en date du 15 décembre, annonça qu’elle avait transféré son siège à Naples, et que son adresse était désormais : Gaetano Grassi, tailleur, Vico 2e Porta Piccola Montecal vario, n° 12, Naples.

Dans leur lettre publiée par le Bulletin du 3 décembre 1876, Malatesta et Cafiero avaient écrit : « La Fédération italienne croit que le fait insurrectionnel, destiné à affirmer par des actes les principes socialistes, est le moyen de propagande le plus efficace ». Cette déclaration significative était le témoignage d’un état d’esprit qui, chez les socialistes italiens, allait bientôt se manifester autrement que par des paroles. Nos amis d’Italie étaient arrivés à cette conviction que, dans leur pays du moins, la propagande orale et la propagande écrite étaient chose insuffisante, et que, pour se faire comprendre clairement des masses populaires, et plus particulièrement des paysans, il fallait leur montrer ce que tous les enseignements théoriques ne pouvaient rendre vivant et réel ; qu’il fallait leur enseigner le socialisme par des faits, en le leur faisant voir, sentir, toucher. Et ils conçurent le projet d’apprendre aux paysans italiens, par une leçon de choses, ce que serait la société si l’on se débarrassait du gouvernement et des propriétaires : il suffirait, pour cela, d’organiser une bande armée, assez nombreuse pour pouvoir tenir quelque temps la campagne, et qui irait de commune en commune réaliser, sous les yeux du peuple, le socialisme en action.

Après le Congrès de Berne, nos deux amis prolongèrent, comme je l’ai déjà dit, leur séjour en Suisse durant plusieurs semaines. Ce fut pendant ce temps que l’idée prit corps, et ils s’occupèrent tout d’abord à se procurer les ressources pécuniaires nécessaires à sa réalisation. Elles furent fournies principalement par une socialiste révolutionnaire russe, Mme Smelskaïa, qui donna quatre mille francs, et par Cafiero, qui consacra à cette affaire le dernier argent, cinq à six mille francs, qu’il put tirer de la liquidation de son héritage. Vers la fin de décembre, Malatesta et Cafiero retournèrent en Italie et s’installèrent à Naples ; là, ils s’occupèrent pendant tout l’hiver des préparatifs de l’entreprise, à laquelle s’intéressèrent de nombreux camarades de différentes parties de la péninsule.

Nos amis avaient choisi le massif montagneux qui touche à la province de Bénévent pour théâtre de l’action ; ils comptaient que les préparatifs, conduits dans le plus profond mystère, seraient achevés de façon à permettre à la bande d’entrer en campagne au mois de juin 1877 : ce n’est qu’à cette époque de l’année, en effet, que la neige a disparu des sommets du Matèse et que les bergers remontent dans les pâturages des régions élevées.

Malatesta et ses amis de Naples connaissaient un certain Salvatore Farina, ancien garibaldien, qui avait été employé autrefois à la répression du brigandage dans le Samnium, à l’époque où les partisans des Bourbons avaient organisé, contre le gouvernement de Victor-Emmanuel, un banditisme politique. Farina était familier avec la région choisie, et y avait conservé des relations ; il pouvait rendre des services : on voulut l’utiliser. Nos amis lui firent des