Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/521

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geois, l’argumentation des orateurs radicaux. C’est ce qui eut lieu. Les socialistes présents étaient une centaine. Les libéraux, qui avaient mis sur pied le ban et l’arrière-ban de leurs forces, étaient environ cent cinquante. Le reste de l’assemblée se composait d’indécis. À la fin de la discussion, lorsqu’on se compta par le vote, on put constater que, bien que l’assemblée eût été convoquée au profit des libéraux, la discussion avait tourné à l’avantage des socialistes. En effet, 50 voix se prononcèrent pour la proposition Jolissaint, 90 pour la proposition du Grütli ; le reste de l’assemblée, 250 personnes, suivit le conseil donné par les socialistes, et s’abstint de voter. Et voilà la Tagwacht, dans son mauvais vouloir à l’égard des Jurassiens, qui trouve moyen de transformer l’éclatante défaite infligée à MM. Jolissaint, Frossard et Cie par les socialistes, en un insuccès pour nous ! Quelle bonne foi !

La Tagwacht insinue que les socialistes avaient fait venir des renforts du dehors. Nous déclarons que le nombre des socialistes n’habitant pas le Val de Saint-Imier, qui s’étaient rendus à l’assemblée du 4 février, n’atteignait pas une dizaine. Voilà à quoi se réduisent ces renforts qu’on a l’air de nous reprocher.

Du reste, la Tagwacht a dit dans ce même passage une chose très juste, sans réfléchir que son aveu allait se retourner contre elle. « Cette région, dit-elle en parlant du Val de Saint-Imier, pourrait être pour la Suisse ce qu’est la Saxe pour l’Allemagne, sous le rapport du socialisme. » C’est là, ajouterons-nous, non-seulement ce qui pourrait être, mais ce qui est. Le Jura est effectivement le foyer le plus intense du socialisme en Suisse. Mais puisqu’il en est ainsi, et puisque chez les ouvriers du Jura l’intelligence est plus développée qu’ailleurs (c’est la Tagwacht qui le dit), par quelle contradiction vient-on prétendre que le socialisme des Jurassiens est quelque chose d’absurde, de puéril, de barbare ?

Comment donc ! les Jurassiens, qui, d’après la Tagwacht, forment la population ouvrière la plus intelligente de la Suisse, seraient en même temps les plus ignorants et les plus arriérés en fait de théories socialistes ? Et les ouvriers de la Suisse allemande, moins cultivés, moins développés, auraient pourtant le privilège d’être plus avancés que nous !

Nous nous arrêtons sur cette belle conclusion, en laissant à nos lecteurs le soin d’apprécier eux-mêmes la logique de nos adversaires.


Je reparlerai du Val de Saint-Imier un peu plus loin.

À la Chaux-de-Fonds, la Section avait décidé de faire donner au public ouvrier quelques leçons d’histoire, comme commentaire de notre programme socialiste ; et elle s’adressa à moi à cet effet. La première leçon eut lieu le 11 janvier, et le Bulletin (14 janvier) en rendit compte ainsi : « Jeudi dernier la Section de la Chaux-de-Fonds a inauguré une série de conférences historiques, dont elle a chargé le citoyen James Guillaume, de Neuchâtel. Ces conférences se font à l’amphithéâtre du Collège ; un public assez nombreux assistait à la première, où le professeur a parlé de la formation des communes au moyen âge, d’Étienne Marcel et de la Jacquerie. » Les leçons se continuèrent ainsi pendant six jeudis, jusqu’au milieu de février.

Il arriva, en janvier, à nos camarades de la Chaux-de-Fonds, un renfort précieux en la personne de notre ami Pierre Kropotkine. Celui-ci, je l’ai dit (p. 108), avait résolu, dès son arrivée en Angleterre, de se rendre en Suisse aussitôt qu’il le pourrait. Étant devenu, à Londres, collaborateur du journal scientifique