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pays, a désormais pris pied aussi dans les cantons allemands, où elle saura grouper tous les éléments sérieux et véritablement socialistes.

Dans notre prochain numéro, nous rendrons compte de la réunion de Berne, qui aura été, nous y comptons, une éclatante revanche de l’outrage infligé il y a un an, par la bourgeoisie bernoise, au drapeau de la Commune et de l’Internationale.


Au chapitre suivant le récit de ce qui se passa le 18 mars 1877 à Berne.



XI


La journée du 18 mars 1877 à Berne et ailleurs.


La manifestation du 18 mars à Berne eut un grand retentissement à l’époque. Vue à trente ans de distance, elle ne paraît plus qu’un incident assez insignifiant, qui ne méritait pas qu’on en fît tant de bruit. C’était déjà mon opinion en 1877, et je pensais que ce genre de propagande n’était pas celui qui convenait le mieux au milieu où militait la Fédération jurassienne.

Le comité d’organisation de Berne prévint le préfet du district, M. de Wattenwyl, de son intention d’organiser un cortège avec le drapeau rouge. Le préfet, à ce que m’écrivit Brousse, répondit au comité que la manifestation projetée était parfaitement légale, et que, si des fauteurs de désordre voulaient essayer d’attaquer le drapeau, la police interviendrait pour faire respecter le droit des manifestants[1]. Ceci était une troisième éventualité que je n’avais pas prévue : la police bernoise se faisant la protectrice du drapeau rouge ! M. de Wattenwyl me parut un habile homme, et je répondis à Brousse que cet intelligent magistrat avait trouvé le meilleur moyen de rendre la manifestation ridicule.

Le dimanche 18 mars, je partis pour Berne dès le matin, seul ; aucun camarade de Neuchâtel, même le révolutionnaire italien Getti, n’avait jugé à propos de m’accompagner. Je m’attendais à une journée absolument pacifique, et je n’avais pas même pris une canne. À Berne, je me rendis au local où nous nous étions donné rendez-vous, place de l’Ours, pour une réunion préparatoire. Parmi les camarades que je trouvai là, je citerai Brousse, Werner, Rinke, Kachelhofer, Simonin, Eggenschwyler, Paggi, Honegger, Pittet, Gleyre, résidant à Berne ; Adhémar Schwitzguébel, Adolphe Herter, Ulysse Eberhardt, Adhémar Chopard, Joseph Lampert, Jules Lœtscher, Alcide Dubois, Henri Eberhardt, venus du Val de Saint-Imier ; Auguste Spichiger, Fritz Huguenin (graveur), Pindy, Jeallot, Ferré, Baudrand, Kropotkine, Lenz, venus de la Chaux-de-Fonds ; Chautems, venu de Bienne ; Buache, venu de Lausanne ; Perron, venu de Vevey. Genève nous avait aussi envoyé quelques amis désireux de participer à la manifestation : parmi eux se trouvaient plusieurs Russes, entre autres le jeune Georges Plekhanof, récemment arrivé de Saint-Pétersbourg, et qui avait tenu à profiter de cette occasion pour se rencontrer avec les militants de la Fédé-

  1. M. de Wattenwyl nia plus tard avoir fait cette déclaration. Au procès, qui eut lieu en août suivant, l’organe du ministère public dit ceci : « Le prévenu Kachelhofer a raconté devant le juge d’instruction que, dans un entretien qu’il avait eu avec M. le préfet, celui-ci lui aurait dit qu’au besoin la police protégerait le cortège contre une agression possible de la part du public, pareille à celle de l’an dernier. M. le préfet a-t-il dit cela à Kachelhofer ? » M. de Wattenwyl répondit : « Je ne m’en souviens pas ; mais je dois faire observer que lorsque Kachelhofer m’a parlé du cortège, on ne savait pas encore s’il y aurait un drapeau rouge. Évidemment, mon intention n’a jamais pu être de protéger le drapeau rouge. »