Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/596

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française nouvellement fondée[1], et il y avait des idées à échanger à ce propos. Mais au moment où Kropotkine se préparait à se rendre à Porrentruy pour passer la frontière, il reçut de Ralli une lettre le prévenant que la police française avait connaissance du voyage projeté, et que s’il mettait le pied sur le territoire français il serait sûrement arrêté. Nous fûmes reconnaissants à Ralli de cet avis amical. Dans un billet que j’écrivais à Kropotkine le 7 juillet, je lui disais : « Je reçois à l’instant ta lettre[2]. Puisque tu ne peux pas aller en France, le plus simple serait de rester à la Chaux-de-Fonds, si tu y retrouves une chambre[3]… C’est bien heureux que l’avertissement de Ralli soit arrivé à temps. » Mais Brousse, lui, se méfia. Il écrivit à Kropotkine, le 12 juillet :

« … J’ai été d’avis que tu n’ailles pas à Paris, par précaution ; mais il m’est impossible de ne pas me figurer la lettre de Ralli comme un simple truc. Ils auront appris, par Lenz ou d’autres, ton voyage, et, comme il menace leurs intérêts, ils ont tout fait pour l’empêcher. Je désire me tromper, mais je crains de deviner juste. — Remets vite à Pindy les pièces ci-jointes ; qu’il en prenne connaissance et me les retourne au plus tôt. Il devrait, je crois, écrire avec soin à la citoyenne Hubertine[4], qui me paraît un excellent élément ; lui envoyer tous les numéros de l’Avant-Garde ; l’inviter à cacher dans le groupe qu’elle a formé une section de l’Internationale, et l’inviter, dussions-nous lui payer le voyage, à se faire déléguer par sa section, quand elle l’aura créée, à la conférence que nous projetons. D’autre part, qu’il se hâte de toucher, sur ce dernier sujet, Rallivet, George, Jeallot (de Paris), et Besançon. Si Landsberg reçoit l’argent qu’elle pense avoir, la conférence aurait lieu. Je proposerais, comme siège de la conférence, la Chaux-de-Fonds. Quant à la date, nous verrons. À la Chaux-de-Fonds, Spichiger pourrait servir de témoin, James, toi et Adhémar animer un peu la fête. »

Voici une autre lettre de Brousse, du 15 juillet :

« Mon cher ami, le bruit d’invasion de la Savoie est ridicule. Je ne pense pas que Montels se permît jamais de rien tenter sans demander conseil aux amis. Tu verras dans l’Avant-Garde que lui-même se moque beaucoup du projet qu’on lui prête. Dis à Pindy que je regarde toutes ces nouvelles venues de Delle[5] et de Genève comme des manœuvres ayant pour but de nous entraver à fond[6].

« Envoie-moi vite deux mois explicatifs de ta dépêche, que je puisse envoyer à Genève. Je leur ai promis de leur communiquer ta lettre, et celle que je viens de recevoir de toi ne se peut communiquer.

« Quant à ton voyage à Paris, il vaut mieux le renvoyer après le Congrès[7]. Alors il y aura les élections, le coup d’État peut-être, et un homme sûr à Paris nous sera indispensable. Qu’en penses-tu ? »


Je termine par quelques chiffres

Le procès-verbal des séances du Comité fédéral du 4 juin 1877 fournit le renseignement suivant sur la situation de notre Bulletin :

  1. Ce Congrès (secret) eut lieu à la Chaux-de-Fonds dans la seconde moitié d’août.
  2. On remarquera que le tu a remplacé le vous. Un rapprochement plus intime avait eu lieu entre Pierre Kropotkine et nous dans le courant de juin.
  3. Kropotkine avait habité jusque-là rue Robert, 12 a : il avait donné congé au propriétaire de sa chambre, à cause de son départ projeté. Il se logea ensuite rue du Progrès, 41.
  4. Il s’agit de Mlle Hubertine Auclert.
  5. Une lettre écrite par Gross avait également prévenu Pindy que la police de Delle se proposait d’arrêter Kropotkine s’il allait en France.
  6. Brousse se trompait ; les avis donnés signalaient un danger très réel. Quelque temps auparavant, Kropotkine s’était rendu en France, par Delle, pour organiser le transport de l’Avant-Garde par des contrebandiers ; un gendarme français qui lui demanda son passeport, au retour, avait conçu des soupçons ; et les propos de ce gendarme, rapportés à Gross, et ensuite à Ralli, furent le motif qui engagea ce dernier à écrire à Kropotkine.
  7. Le Congrès général de l’Internationale, en septembre.