Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/619

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Guillaume. L’interrogatoire des accusés fera juger de la véracité des témoins qui attribuent, les uns à Rinke ou à Eberhardt, les autres à moi, l’usage d’une canne à épée dont aucun des trois ne s’est servi.


L’interrogatoire des prévenus occupa l’après-midi, de deux heures à six heures. Les réponses furent de deux sortes : les uns n’avaient pu frapper, faute de canne ou pour quelque autre raison, et le regrettaient ; les autres déclaraient avoir frappé de leur mieux sur les gendarmes ou autres individus qui attaquaient le cortège Mais on attendait le coup de théâtre que j’ai annoncé ; il se produisit lorsque le président interrogea Lampert :


Joseph Lampert, graveur, vingt-deux ans, résidant à Sonvillier.

À l’appel de ce nom, un certain mouvement se produit parmi les prévenus : ils savent que la déclaration de Lampert va réduire à néant les affirmations des témoins qui prétendent avoir vu Rinke, Eberhardt ou Guillaume manier la canne à épée qui figure parmi les pièces de conviction. Lampert s’assied sur la sellette sur laquelle on fait placer le prévenu pendant l’interrogatoire.

Le président. Quelle part avez-vous prise à l’affaire du 18 mars ?

Lampert. Une bonne.

Le président. Racontez ce que vous avez fait.

Lampert se lève, va à la table du tribunal, et y prend parmi les pièces de conviction la canne à épée.

— Cette canne à épée, dit-il, est à moi ; c’est moi qui m’en suis servi et qui ai blessé le gendarme Lerch.

Ce mouvement de noble franchise est salué par des bravos que la sonnette du président cherche inutilement à réprimer.

Lampert raconte ensuite qu’assailli par trois gendarmes qui avaient le sabre nu, il s’est défendu avec sa canne : dans la chaleur de la lutte, la gaine du stylet est tombée, la lame lui est restée à la main, et il en a frappé l’un de ses assaillants.

La déclaration de Lampert produit visiblement une profonde impression sur l’auditoire, peu habitué à voir des prévenus parler avec tant de sincérité et accepter aussi résolument la responsabilité de leurs actes.


Cinq prévenus furent encore interrogés après Lampert.


L’interrogatoire étant terminé, le président annonce que les trois témoins auxquels le serment a été déféré vont être rappelés.

Les prévenus annoncent alors que, la déclaration de Lampert ayant fait connaître au tribunal et au public la vérité sur le coup de stylet, ils renoncent à l’assermentation des témoins en question, ne voulant pas les exposer aux conséquences pénales d’un parjure juridique.


La séance s’acheva par la plaidoirie de l’avocat Sahli pour la partie civile. Le majestueux président du Grand-Conseil de Berne, après avoir flétri les démagogues et les révolutionnaires, et félicité les gendarmes d’avoir fait leur devoir, « car, si la police a des armes, c’est évidemment pour s’en servir à l’occasion », exposa en ces termes la doctrine républicaine bernoise :


Toutes les libertés garanties par la constitution sont des libertés essentiellement limitées ; l’État ne peut en tolérer l’exercice qu’à la condition que cet exercice ne constitue pas une provocation envers l’opinion de la majo-