Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/91

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Elle est jolie, l’authenticité !

Heureusement qu’il y a en France, à côté de ces fantômes d’organisation ébauchés par les marxistes et vendus aussitôt à la police par leurs agents, des sections sérieuses, qui continueront à propager avec ardeur les principes immortels de l’Internationale.


Il reste à faire connaître les appréciations de la coterie marxiste sur la conduite de ses deux agents. Voici ce qu’Engels écrivait à ce sujet à Sorge le 20 mars 1873 :


En France, tout le monde semble avoir été pincé. Heddeghem a joué le traître, comme le prouve le procès de Caen, où le procureur l’a expressément nommé comme le dénonciateur, Dentraygues (Swarm) à Toulouse avait, avec la pédanterie habituelle, dressé une masse de listes inutiles, qui ont fourni à la police tout ce dont elle avait besoin ; le procès a lieu en ce moment. Nous attendons tous les jours des nouvelles.


Et le 15 avril :


Vous aurez vu par les journaux français que Walter [Heddeghem] apparaît comme un incontestable espion. On dit que c’était un mouchard bonapartiste. À Toulouse, Swarm [Dentraygues] ne s’est pas conduit beaucoup mieux ; mais n’ayant pas lu le compte-rendu in-extenso, je ne puis parler avec certitude ; en tout cas ce n’était pas un mouchard, mais il paraît avoir été faible et capricieux[1].


Le 3 mai, comme Sorge lui avait écrit : « Nous attendons d’avoir plus de nouvelles concernant la France, avant de prendre aucune mesure », Engels lui répond :


Je ne vois pas que vous puissiez prendre quelques mesures que ce soit. Toutes nos sections sont pincées. Heddeghem était espion déjà à la Haye. Dentraygues n’est pas un espion, mais il a, pour des motifs personnels et par faiblesse, dénoncé des individus par qui il avait été rossé (die ihn vorher durchgekeilt hatten) ...[2]. Quoiqu’il en soit, en France l’organisation est pour le moment fichue (klatsch), et elle ne pourra se refaire que très lentement, puisque nous n’avons plus aucune relation[3].

  1. On voit qu’Engels, très dur pour Van Heddeghem (qui avait eu des accointances blanquistes), ménage Dentraygues. Dans la brochure L’Alliance, etc., les choses sont présentées de telle façon (pages 31-52) que le lecteur doit nécessairement croire Dentraygues un honnête homme, et s’imaginer que le véritable dénonciateur est Jules Guesde.
  2. Les points suspensifs sont dans le livre de Sorge : il a supprimé ici un passage qu’il aura sans doute jugé trop compromettant pour la mémoire d’Engels.
  3. Cette connaissance du néant de l’organisation marxiste en France n’empêchait pas le même Engels d’écrire au même moment, avec un front d’airain, dans le libelle L’Alliance, etc., p. 57 : « Nous nous garderons bien de dévoiler aux Jurassiens ce qu’il y a encore de sérieusement organisé en France, en dépit des dernières persécutions qui ont montré suffisamment de quel côté était l’organisation sérieuse, et qui, comme toujours, ont soigneusement épargné le peu d’alliancistes que la France possède ». Que penser d’un homme qui, ayant lui-même à se reprocher la présence dans les rangs marxistes d’un Dentraygues et d’un Van Heddeghem, ose imprimer que les « alliancistes » sont « soigneusement épargnés » par la police française !