Aller au contenu

Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/111

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« faiseur de secrets[1] » Paul Quartier, brave homme un peu bavard, mais très serviable ; et l'excellent Gaspard Bovet, guillocheur, ancien phalanstérien, homme au cœur d'or, toujours prêt à payer de sa personne. Bovet avait endossé une blouse[2] et, depuis huit heures du matin, s'occupait à mettre les pommes de terre dans les sacs. Je fus vivement touché de ce dévouement si simplement offert, et je dis à Gaspard Bovet qu'on était bien heureux d'avoir des citoyens comme lui. « Que voulez-vous, me répondit-il, ma femme et moi n'avons pas d'enfants, il est donc bien juste que je donne mon temps à mes principes. Il y a vingt ans je faisais déjà comme ça avec Considérant : ce n'est que par le dévouement que les idées tout leur chemin. » Je voulus, moi aussi, mettre la main à la pâte ; mais il ne restait plus grand chose à faire, la vente était presque terminée : le public était venu en foule, et il n'y avait pas eu assez de pommes de terre pour tant de monde ; il fut décidé séance tenante que nous en ferions venir un second wagon.

Quelques jours plus tard, le second wagon arriva, et le contenu en fut distribué de la même manière. Nous fîmes venir aussi quelques pièces de fromage de Gruyère, que nous détaillâmes, à la gare même, grâce à la complaisance de Perrelet, par morceaux de quatre à cinq kilos au prix du gros, au grand ravissement des ménagères.


Nous nous étions promis, au Locle, de ne plus nous occuper d'élections cantonales (c'est-à dire législatives), et le résultat des élections genevoises du 15 novembre était bien fait pour nous confirmer dans notre résolution. Mais l'idée nous vint de faire une tentative sur le terrain municipal. Aux termes de la loi neuchâteloise, l'assemblée générale des électeurs municipaux décidait elle-même quelles attributions il lui convenait de déléguer au Conseil général de la municipalité, et quels droits elle entendait se réserver. Parmi les attributions déléguées au Conseil général figuraient le vote du budget municipal, la nomination de la Commission de taxe pour l'impôt municipal, et la nomination de la Commission d'éducation. Nous résolûmes de proposer à l'assemblée des électeurs municipaux de reprendre au Conseil général ces trois attributions et de les garder pour elle : il serait possible de la sorte, pensions-nous, d'exercer sur le budget municipal un contrôle direct, de frapper les grosses bourses et déménager les petites, et d'introduire quelques-uns des nôtres dans la Commission d'éducation, où l'influence des pasteurs était dominante. Un certain nombre de radicaux, dont les uns avaient l'esprit plus ouvert que le gros du parti, et dont les autres jugeaient politique de faire des avances aux socialistes, annoncèrent qu'ils nous donneraient leur concours. Nous nous préparâmes donc à la lutte : le renouvellement du Conseil général était fixé au dimanche 13 décembre.

On voit combien peu la tactique de la non-participation au scrutin, qui finit par s'imposer à nous à la suite d'une série d'expériences et de déceptions, fut le résultat d'un système préconçu. Tout au contraire, nous nous cramponnâmes aux illusions de la politique réformiste aussi longtemps qu'il fut possible ; et, battus sur un terrain, nous essayâmes de recommencer sur un autre.

Une assemblée populaire fut convoquée dans les premiers jours de décembre, et, après avoir entendu l'exposé de notre plan de campagne, elle nomma une commission chargée de présenter un rapport à une seconde assemblée qui devait se réunir le jeudi 10 décembre. La commission fut composée de cinq membres, trois radicaux et deux socialistes, le citoyen Auguste Mercier et moi ; elle me choisit pour son rapporteur.

Sur ces entrefaites, Ferdinand Buisson, alors professeur de philosophie

  1. On appelle « faiseurs de secrets » les ouvriers qui introduisent dans le « pendant » d'une montre la pièce mobile actionnant le ressort qui fait ouvrir la boîte.
  2. Les ouvriers horlogers ne portent généralement pas la blouse.