Aller au contenu

Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/139

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que les producteurs, et celui qui vit sans travailler, qui vit du travail des autres, ne paie pas un centime de contribution ».

Le numéro se terminait par la réponse suivante au journal l’Union libérale, de Neuchâtel, qui nous avait attaqués :

L’Union libérale, dans son numéro du 30 janvier, a bien voulu s’occuper du Progrès. Un correspondant facétieux s’est chargé de nous présenter aux lecteurs du journal conservateur, et il apprécie nos articles sur l’école et l’église, sur l’impôt, sur la conférence de M. Kopp, d’une manière fort drolatique, mais qui dénote une bien médiocre connaissance des questions économiques et religieuses.

Le cadre de notre modeste journal nous interdit toute polémique, et nous ne sommes d’ailleurs pas d’humeur à batailler contre des adversaires qui paraissent incapables de soutenir une discussion sérieuse, et qui ne savent opposer au socialisme que des arlequinades signées du pseudonyme de Brutus, qu’il a plu à leur auteur de prendre, et qu’il est très libre de garder en se l’appliquant dans toute son énergie littérale. Il nous suffit de constater l’inintelligence de nos conservateurs en présence des problèmes sociaux, le risible dédain qu’ils affichent pour les enseignements de la science moderne, leur incroyable aveuglement sur la réalité de la situation, et, tirant de cette folie de nos adversaires l’heureux augure du triomphe prochain de la justice sur le privilège, de la défaite de l’ancien monde et de l’avènement du monde nouveau, nous disons avec le poète :

Quos vult perdere Jupiter dementat,

« Quand Dieu veut perdre quelqu’un, il commence par lui ôter la raison. »

Toute la journée du mercredi, « chaleureuses poignées de main des uns, regards obliques et courroucés des autres ». La Feuille d’avis avait paru en même temps que le Progrès : mes lettres aux pasteurs et au Conseil communal semblaient à certaines gens le comble de l’audace ; les vieilles perruques de « royaux » et de « mômiers » prophétisaient la fin du monde et l’abomination de la désolation. Le clergé catholique unissait ses doléances à celles de l’orthodoxie protestante ; le curé du Chauffaud, petit village français à une lieue du Locle, avait déclaré à ses paroissiens que Buisson et moi étions possédés du démon. Pendant plusieurs jours de suite, je reçus des lettres anonymes : on y appelait Buisson et moi des diables qui voulaient tout renverser, et on m’annonçait qu’on se débarrasserait de moi par un coup de poignard ou de pistolet. Ces gentillesses nous amusèrent beaucoup.

La conférence de Buisson, Profession de foi du protestantisme libéral, fut faite, comme il avait été annoncé, le vendredi 5 février, devant un très nombreux auditoire, qui l’applaudit chaleureusement. Mes lettres ne contiennent pas de détails sur cette soirée, parce qu’elles présentent une lacune du 5 au 8 février : le lendemain de la conférence, le samedi 6, j’étais parti du Locle pour aller passer le dimanche à Morges.

À mon retour, je trouvai deux billets de Bakounine, du 5 et du 7, m’annonçant tous les deux qu’il lui était impossible de venir le samedi 13 ; le premier billet ajoutait qu’il viendrait le dimanche 21 ; le second disait au contraire qu’il viendrait le samedi 20 si cela nous convenait. Je m’empressai de lui répondre que nous préférions qu’il vînt dès le samedi.

Cependant le mouvement rationaliste dont Buisson avait été l’initiateur allait, par le concours que lui apportaient des pasteurs de l’Église libérale française, prendre un caractère qui n’était plus celui du début : il ne