Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/183

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trouve à bout d’arguments et de preuves, il dit : C’est une chose, une idée, un homme étrangers ; et il a une si petite idée de ses compatriotes qu’il espère qu’il lui suffira de proférer ce mot terrible d’étranger pour qu’oubliant tout, et sens commun et justice, ils se mettent tous de son côté. Je ne suis point Genevois, mais je respecte trop les habitants de Genève pour ne pas croire que le Journal se trompe sur leur compte. Ils ne voudront sans doute pas sacrifier l’humanité à la bestialité exploitée par l’astuce.


Le 21 juin, en m’envoyant un nouvel article, Bakounine m’écrivait :


Cher ami, voici la suite de mes articles. J’en ai fini avec le patriotisme naturel. Le prochain ou les prochains articles seront consacrés au patriotisme économique, politique et religieux. Tu vois déjà dans celui-ci la transition et tu vois sans doute où j’en veux venir. Écrivain peu sobre et encore moins expérimenté, j’ai quelquefois l’air de divaguer et de perdre de vue le but de la marche que j’ai entreprise. Mais je t’assure que je ne l’oublie pas un instant, et qu’après avoir fait un peu d’école buissonnière, je ne tarderai pas à ramener mes lecteurs sur la grande route de la révolution socialement et politiquement destructive.

Je fais et je ferai encore plus tout mon possible pour propager ton journal, et je ne désespère pas du tout de son existence.

Sais tu ce qui m’est arrivé ? En préparant du thé, j’ai renversé une théière d’eau bouillante sur mon pied gauche habillé en pantoufle, de sorte que je suis blessé, forcé de rester assis, et je doute qu’il me soit possible de venir pour le 27 chez vous[1]. Pourtant je tâcherai de le faire, surtout si l’argent que j’attends cette semaine de Russie m’arrive. Dans tous les cas je tâcherai de vous envoyer Fritz [Heng], dont je suis infiniment content à présent. Il est redevenu lui-même, plein d’énergie et d’activité, et les choses commencent à marcher ici à ravir.

Quant à ma lettre à Fritz Robert, faites comme vous l’entendrez Vous êtes sur les lieux, vous le connaissez beaucoup mieux que moi, et vous pouvez mieux juger ce qui est utile ou non. Mais j’avoue que je ne suis pas entièrement convaincu par ta lettre. S’il a du cœur à côté de son esprit, s’il n’est pas un petit esprit ni un petit caractère, il ne peut s’offenser selon moi de cette lettre, qui est au contraire une preuve de confiance et non de désir de le dénigrer. Si nous voulions former de petits instruments pour le service d’une cause mesquine, je comprendrais toutes ces délicatesses artificielles. Mais comme nous voulons et comme nous devons faire appel aux grands instincts et aux larges pensées qui seuls peuvent nous servir[2], nous devons parler largement, grandement, franchement, ce me semble. Je persiste donc à croire que ma lettre, loin de produire un mauvais effet sur Fr. Rob., contribuerait au contraire à le réveiller et à le rendre nôtre tout à fait. Mais, comme je l’ai dit, je m’en remets complètement à votre jugement et à votre décision collective.

Richard de Lyon est arrivé ici aujourd’hui lundi. J’en suis extrê-

  1. Il devait y avoir le 27 juin un meeting à Fontaines (Val de Ruz).
  2. Pour cela, il faut s’adresser à ceux là chez qui les grands instincts et les larges pensées existent, au moins en puissance ; Bakounine se faisait des illusions, et c’était là ce que je lui avais répondu.