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se rendre à Bâle, munis de leurs fusils, par groupes successifs d’une cinquantaine d’hommes à la fois : le chemin de fer aurait ainsi amené, en moins de quarante-huit heures, un effectif de cinq à six cents hommes armés, qui auraient fait cause commune avec les grévistes et les auraient aidés à résister aux menaces et aux violences.



IX


Mes derniers jours au Locle (11-15 juillet). L’enlèvement des enfants de la princesse Obolensky (13 juillet). N° 15, 16 et 17 du Progrès (24 juillet, 7 et 21 août). Grève des ouvriers graveurs et guillocheurs à la Chaux-de-Fonds et au Locle. La Commission d’éducation du Locle m’invite à donner ma démission (5 août) ; j’entre à l’imprimerie G. Guillaume fils, à Neuchâtel. Joukovsky au Locle ; n° 18 et 19 du Progrès (4 et 18 septembre).


Je quittai le Locle le 15 juillet pour aller prendre un repos dont j’avais grand besoin. Je comptais y retourner à la fin des vacances ; mais les meneurs de la Commission d’éducation en avaient décidé autrement. J’étais loin de me douter que mes adversaires méditassent de me porter un coup décisif ; au contraire, je croyais ma position consolidée, et je partais en pleine sécurité. Je voudrais citer encore deux lettres qui montreront quel était mon état d’esprit à ce moment :


Ma mère m’a écrit vendredi une lettre lamentable. Elle revenait de Fleurier, où elle avait passé plusieurs nuits à veiller auprès d’une malade, entourée de « mômiers ». Cela m’explique l’état moral dans lequel elle se trouvait en m’écrivant. Elle voit ma situation sous les plus noires couleurs, à cause d’un stupide article de l’Union libérale où il est parlé de moi ; elle craint pour ton avenir et le mien…

Parlons d’autre chose. Notre promenade d’hier a très bien réussi[1]. Elle devait me servir un peu de baromètre pour juger de ma position au Locle. J’ai été traité, choyé, entouré, comme aux plus beaux jours. Mes collègues se montrent remplis de prévenances ; M. Barbezat lui-même s’est déridé. Les élèves me témoignent des sentiments d’attachement dont je suis vivement touché. De plusieurs côtés, ces derniers jours, des parents, des mères surtout, m’ont fait exprimer leur satisfaction, — et c’est pendant ce temps que ma pauvre mère me croit perdu parce que cette sale Union libérale m’a insulté.

Mais revenons à la promenade. Il a fait bien chaud pour monter ; mais nous étions très gais, et n’avons pas senti la fatigue. On a dîné en plein air, ensuite on a joué à divers jeux, par exemple à Jacques, où es tu ? les filles et les garçons avaient fait un grand rond ; M. Bise et moi étions au milieu ; on nous avait bandé les yeux ; j’étais Jacques et M. Bise me cherchait, ce qui a amené force culbutes et force éclats de rire. Puis nous avons voulu dormir, mais pas moyen ; comme tout est permis ce jour-là, il y avait toujours quelque fillette qui venait nous faire une niche, nous tirer par le pied ou nous lancer une « pive » de sapin sur le nez. Enfin à six heures on s’est remis en route… Nous sommes rentrés au Locle à neuf heures, au milieu d’une foule accourue pour nous voir et nous entendre : c’était un très joli cortège ; on avait mis au bout de quelques bâtons des mouchoirs rouges ou blancs qu’on portait en hâte ; d’autres avaient des branches vertes, de

  1. C’était une excursion des élèves de l’École industrielle, filles et garçons, à la Tourne, montagne à trois heures de marche du Locle.