Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/354

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de la Section centrale et de la Section de propagande, furent en outre, sans autre forme de procès, exclus de la Section centrale[1].

Nous savions d'autre part, par une lettre d'Ozerof[2], que Mme  Outine s'était rendue à Paris avec la mission spéciale de nous calomnier, et qu'elle cherchait à noircir Bakounine auprès des internationaux parisiens. « Elle a dit du mal de lui à Charles Keller, qui me l'a raconté avec mépris, » écrivait Ozerof[3]. Heureusement nos amis de Paris nous connaissaient, et n'étaient pas disposés à prêter l'oreille aux propos des intrigants.


Bakounine quitta Genève le lundi 18 avril pour retourner à Locarno ; de là, ainsi que je l'ai appris plus tard, il se rendit à Milan, où il devait rencontrer les sœurs de sa femme, Mme  Sophie Lossowska et Mlle  Julie.... (j'ignore le nom du mari de cette dame), et tâcher, par leur intermédiaire, d'obtenir quelque argent de ses frères, propriétaires ruraux qui habitaient le domaine patrimonial, resté indivis, de la famille, au village de Priamoukhino, district de Torjok, dans le gouvernement de Tver. Je le vis à son passage à Neuchâtel, où il s'arrêta un jour, et Friz Robert assista à l'entrevue ; nous nous concertâmes au sujet de la direction à donner à la Solidarité ; et c'est à ce moment qu'il me remit, pour être imprimé dans l'atelier G. Guillaume fils, le manuscrit de la brochure Les Ours de Berne et l'Ours de Saint-Pétersbourg[4], en me laissant toute liberté de retoucher, de remanier, d'abréger, liberté dont je ne me fis pas faute d'user[5].

La brochure Les Ours de Berne et l'Ours de Saint-Pétersbourg, complainte patriotique d'un Suisse humilié et désespéré (Neuchâtel, imprimerie G. Guillaume fils, 1870, 45 p. in-16), était devenue introuvable. Elle vient d'être réimprimée dans un volume qui contient également les Lettres à un Français et L'Empire knouto-germanique et la Révolution sociale[6], ce qui me dispense d'en donner ici une analyse. On peut lire encore aujourd'hui avec fruit cet écrit, l'un des meilleurs de Bakounine : on y trouve des pages excellentes sur les dangers de la centralisation, sur « le mensonge du système représentatif », et l'auteur y expose avec une logique serrée un ensemble de preuves à l'appui de cette affirmation, que « toute organisation politique aboutit fatalement à la négation de la liberté ».

Pendant ce séjour de Bakounine à Neuchâtel, nous passâmes de longues heures, ma femme et moi, à causer avec lui de mille choses diverses ; sa conversation, tour à tour enjouée et sérieuse, tenait les interlocuteurs sous

  1. On pourra juger de ce que c'était que la Section coulleryste de la Chaux-de-Fonds par ce fait : M. Ulysse Dubois ayant, après le Congrès romand, soumis sa conduite à l'appréciation de sa Section. Trois voix se prononcèrent pour et deux voix contre. (Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 176.)
  2. L'ex-officier russe Ozerof, dont il a déjà été question (t. Ier, p. 150), exerçait à Paris le métier de cordonnier. Il allait venir se fixer à Genève, où il prit une part active, de 1870 à 1872, comme collaborateur de Bakounine, aux affaires russes et françaises.
  3. Nettlau, p. 393. — Charles Keller m'a déclaré (juin 1905) qu'il ne se souvient pas d'avoir vu Mme  Outine à ce moment, mais qu'il a effectivement entendu dénigrer Bakounine par divers agents de la coterie de Genève et de Londres.
  4. Cette brochure avait été écrite à Genève en mars (voir t. Ier, p. 283). Bakounine indique lui-même cette date dans un passage de L'Empire knouto-germanique (p. 49) où il dit, après avoir cité quelques lignes de ses Ours : « Voilà ce qu'au mois de mars, alors que l'empire était encore florissant, écrivait un de mes plus intimes amis».
  5. Bakounine savait très bien quel était son grand défaut comme écrivain. En envoyant à Herzen le commencement du manuscrit qu'il avait désiré faire imprimer à Paris, en octobre 1869, il le priait d'élaguer de son œuvre les longueurs, d'en corriger l'ordonnance, et lui disait : « Je ne suis pas artiste, et le talent d'architecte en littérature me fait complètement défaut, de sorte qu'abandonné à mes propres forces peut-être ne pourrais-je pas venir à bout de construire l'édifice que j'ai entrepris d'ériger... Tu te diras : Laissons-le bâtir sa maison à sa guise, mais, comme il n'a pas le sentiment esthétique et ne possède pas la science de l'architecte, c'est moi qui disposerai les fenêtres et les portes. » (Lettre du 18 octobre 1869.)
  6. Bakounine, Œuvres, t. II, Paris, Stock, 1907.