Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/396

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comité n'existe plus, tous ses membres ont été arrêtés, N. reste seul, et seul il constitue aujourd'hui ce qu'il appelle le Comité. L'organisation russe, en Russie, ayant été décimée, il s'efforce d'en créer une nouvelle à l'étranger. Tout cela était parfaitement naturel, légitime, fort utile, — mais la manière dont il s'y prend est détestable. Vivement impressionné par la catastrophe qui vient de détruire l'organisation secrète en Russie, il est arrivé peu à peu à se convaincre que pour fonder une société sérieuse et indestructible il faut prendre pour base la politique de Machiavel et adopter pleinement le système des Jésuites, — pour corps la seule violence, pour âme le mensonge.

La vérité, la confiance mutuelle, la solidarité sérieuse et sévère n'existent qu'entre une dizaine d'individus qui forment le sanctum sanctorum de la Société. Tout le reste doit servir comme instrument aveugle et comme matière exploitable aux mains de cette dizaine d'hommes réellement solidarisés. Il est permis et même ordonné de les tromper, de les compromettre, de les voler, et même au besoin de les perdre, — c'est de la chair à conspiration... Les sympathies d'hommes tièdes, qui ne sont dévoués à la cause révolutionnaire qu'en partie et qui, en dehors de cette cause, ont encore d'autres intérêts humains, tels qu'amour, amitié, famille, rapports sociaux. — ces sympathies ne sont pas à ses yeux une base suffisante, et, au nom de la cause, il doit s'emparer de toute votre personne, à votre insu. Pour y arriver, il vous espionnera et tâchera de s'emparer de tous vos secrets, et, pour cela, en votre absence, resté seul dans votre chambre, il ouvrira tous vos tiroirs, lira toute votre correspondance, et, quand une lettre lui paraîtra intéressante, c'est-à-dire compromettante à quelque point de vue que ce soit, pour vous ou pour l'un de vos amis, il la volera et la gardera soigneusement comme un document contre vous ou contre votre ami. Il a fait cela avec O [garef], avec Tata [Mlle Natalie Herzen] et avec d'autres amis, et lorsqu'en assemblée générale nous l'avons convaincu, il a osé nous dire : « Hé bien oui, c'est notre système, nous considérons comme des ennemis, et nous avons le devoir de tromper, de compromettre, toutes les personnes qui ne sont pas complètement avec nous, » c'est-à dire tous ceux qui ne sont pas convaincus de ce système et n'ont pas promis de l'appliquer eux-mêmes. Si vous l'avez présenté à un ami, son premier soin sera de semer entre vous la discorde, les cancans, l'intrigue, en un mot de vous brouiller. Votre ami a une femme, une fille, il tâchera de la séduire, de lui faire un enfant, pour l'arracher à la moralité officielle et pour la jeter dans une protestation révolutionnaire contre la société... Ne criez pas à l'exagération, tout cela m'a été amplement développé et prouvé. Se voyant démasqué, ce pauvre N. est encore si naïf, si enfant, malgré sa perversité systématique, qu'il avait cru possible de me convertir ; il est allé même jusqu'à me supplier de vouloir bien développer cette théorie dans un journal russe qu'il m'avait proposé d'établir. Il a trahi la confiance de nous tous, il a volé nos lettres, il nous a horriblement compromis, en un mot il s'est conduit comme un misérable. Sa seule excuse, c'est son fanatisme. Il est un terrible ambitieux sans le savoir, parce qu'il a fini par identifier complètement la cause de la révolution avec sa propre personne : mais ce n'est pas un égoïste dans le sens banal de ce mot, parce qu'il risque terriblement sa personne et qu'il mène une vie de martyre, de privations et de travail inouï. C'est un fanatique, et le fanatisme