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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/398

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et le surlendemain ils revenaient bredouilles de leur chasse à l’homme[1]. Ils n’étaient pas les seuls qui se fussent mis en campagne ; le jour même où ils partaient pour le Locle, ou le lendemain, je reçus la visite d’une jeune dame aux allures mystérieuses, qui venait de Genève et qui me remit un mot de Bakounine : c’était Mlle Natalie Herzen, la fille aînée du fondateur du Kolokol ; elle voulait, elle aussi, rejoindre Netchaïef, et essayer d’obtenir par la persuasion ce qu’Ozerof prétendait reprendre par la violence ; elle ne réussit pas davantage : elle se présenta de ma part à Auguste Spichiger, qui la conduisit dans la maison où Netchaïef se tenait caché ; mais la conversation qu’elle eut avec ce dernier n’eut pas de résultat.

Je n’ai jamais revu Netchaïef. Bakounine ne le revit pas non plus ; mais il reçut de lui, le 1er août, une lettre dont le contenu paraît avoir achevé de le désenchanter du personnage ; il écrivait à ce sujet, de Locarno, le lendemain, à son ami Ogaref, les lignes suivantes, qui serviront d’épilogue à cette histoire[2] :


Voici le mot que m’a enfin envoyé notre Boy [Netchaïef]. Je l’ai reçu hier soir et je m’empresse de te le faire parvenir pour te consoler plus vite, comme je le suis déjà moi-même. Il n’y a pas à dire, nous avons eu un beau rôle d’idiots ! Comme Herzen se moquerait de nous deux, s’il était là, et combien il aurait raison ! Eh bien, il n’y a plus qu’à avaler cette amère pilule, qui nous rendra plus avisés dorénavant.


Bakounine, qui avait quitté Genève le 22 ou le 23 juillet, s’arrêta auprès de moi à Neuchâtel ; il y écrivit le 24 à Talandier la lettre dont j’ai reproduit les principaux passages, puis rentra à Locarno : là il fut tout de suite absorbé par d’autres préoccupations, celles que lui donnaient la guerre qui venait d’éclater et la perspective d’une révolution en France.

Réfugié à Londres, Netchaïef commença, avec ce qui lui restait de l’argent du fonds Bakhmétief, la publication d’un journal russe, Obchtchina (La Commune), où il attaqua Bakounine et Ogaref, leur reprochant d’être des révolutionnaires doctrinaires et vieux jeu[3] ; le tumulte de la guerre fit bientôt oublier le jeune fanatique, et nous n’entendîmes plus parler de lui jusqu’au printemps de 1871.

Les papiers emportés par Netchaïef furent retrouvés en 1872, par Ross, à Paris ; ils furent alors, les uns brûlés, les autres rendus à leurs propriétaires.

III


La guerre, de juillet à septembre 1970 : attitude de l’Internationale. — Sedan ; le 4 septembre ; le Manifeste de la Solidarité (5 septembre). — Les Lettres à un Français ; Bakounine à Lyon : journée du 28 septembre 1870.


Cependant la guerre venait d’éclater brusquement entre la France et l’Allemagne. Cette guerre, voulue par Bismarck et de longue main préparée par lui, bêtement déclarée par Napoléon III et son ministre le libéral Émile Ollivier, était l’événement le plus malheureux pour nous qui pût survenir. Il fallait encore quelques années, — c’était l’opinion de nos

  1. Je n’ai plus les détails présents à l’esprit. Je crois qu’il y eut une entrevue entre Ozerof et Netchaïef, et que ce dernier dit que la malle était déjà expédiée en Angleterre.
  2. Correspondance de Bakounine.
  3. L’Obchtchina n’a eu que deux numéros, le premier paru en septembre 1870, et le second (aujourd’hui introuvable) beaucoup plus tard, en 1871.