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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/435

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« abstentionnistes », — qui disions qu’il fallait, en ce moment décisif, faire un effort suprême pour affranchir le peuple des derniers restes de l’autorité gouvernementale ; que le soulèvement des ouvriers et des paysans contre l’envahisseur serait en même temps un soulèvement contre la tyrannie économique de la classe capitaliste ; et qui tentions, par la parole et par les actes, de provoquer ce soulèvement et de montrer au peuple français le moyen de se sauver lui-même en préparant, du même coup, le salut du prolétariat universel.

Il existe une lettre de Marx au professeur Edward Spencer Beesly, du 19 octobre 1870 (publiée dans The Social-Democrat de Londres, du 15 avril 1903), où il apprécie les événements de Lyon d’après des lettres qu’il venait de recevoir. Voici comment il s’exprime :


Au début tout marchait bien. Sous la pression de la Section de l’Internationale, la République avait été proclamée à Lyon avant de l’être à Paris. Un gouvernement révolutionnaire fut tout de suite établi, la Commune[1], composée en partie d’ouvriers appartenant à l’Internationale, en partie de républicains radicaux bourgeois... Mais les ânes Bakounine et Cluseret arrivèrent à Lyon, et gâtèrent tout. Appartenant tous deux à l’Internationale, ils eurent malheureusement assez d’influence pour égarer nos amis. L’hôtel de ville fut pris, pour un moment seulement, et de très ridicules décrets sur l’abolition de l’État et autres balivernes furent rendus. Vous comprenez que le seul fait d’un Russe — que les journaux de la bourgeoisie représentaient comme un agent de Bismarck — prétendant s’imposer à la tête d’un Comité du Salut de la France était tout à fait suffisant pour changer complètement l’opinion publique[2]. Quant à Cluseret, il s’est comporté à la fois comme un idiot et comme un lâche. Ces deux hommes ont quitté Lyon après leur insuccès.


Il convient de citer, pour achever ce chapitre, les quelques phrases que Marx a consacrées au mouvement du 28 septembre dans sa brochure de 1873, l’Alliance de la démocratie socialiste (p. 21). Voici cet extraordinaire morceau :


Le mouvement révolutionnaire de Lyon venait d’éclater. Bakounine d’accourir rejoindre son lieutenant Albert Richard et ses sergents Bastelica et Gaspard Blanc. Le 28 septembre, jour de son arrivée, le peuple s’était emparé de l’hôtel de ville. Bakounine s’y installa : alors arriva le moment critique, le moment attendu depuis bien des années, où Bakounine put accomplir l’acte le plus révolutionnaire que le monde ait jamais vu : il décréta l’abolition de l’État. Mais l’État, sous la forme et l’espèce de deux compagnies de gardes nationaux bourgeois, entra par une porte qu’on avait oublié de garder, balaya la salle, et fit reprendre à la hâte le chemin de Genève à Bakounine[3].

  1. Marx veut parler du Comité de salut public, qui prenait en effet la qualification de « Commune de Lyon ».
  2. J’ai explicité plus haut (p. 95) la raison qui avait déterminé Bakounine à signer l’affiche du Comité du Salut de la France.
  3. En regard de ces lignes dictées par la haine, où Marx s’est efforcé de ridiculiser un homme qu’il détestait, il me plaît de reproduire d’autres lignes écrites par le même Marx dix-huit ans auparavant, dans un article de la New York Daily Tribune du 2 octobre 1852 (« Sur la révolution et la contre-révolution en Allemagne ») ; il y parle en ces termes de l’insurrection de Dresde de mai 1849, à laquelle Bakounine avait pris la part que l’on sait : « À Dresde, on se battit pendant quatre jours dans les rues de la ville. Les boutiquiers de Dresde non seulement ne combattirent pas, mais dans plusieurs cas favorisèrent l’action des troupes contre les insurgés. Ceux-ci se composaient presque exclusivement d’ouvriers des districts manufacturiers environnants. Ils trouvèrent un chef capable et de sang-froid dans le réfugié russe Michel Bakounine (They found an able and coolheaded commander in the Russian refugee, Michael Bakunin). »