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Alerini, captif alors dans une geôle espagnole, et qui a été publiée dans le Bulletin de la Fédération jurassienne du 1er octobre 1876[1]. Je la reproduis ci-après :


À la suite des malheureux événements de Lyon (septembre 1870), Michel Bakounine dut abandonner cette ville, et, pensant qu’il pouvait encore servir utilement la cause de la Révolution en prolongeant son séjour en France, il vint à Marseille, où il demeura durant quelque temps caché dans une modeste habitation du quartier du Pharo. Mais la classe ouvrière se trouvait alors complètement désorganisée dans la capitale du Midi, et l’agitation politique dominait en ce moment la question sociale… La présence de notre ami en face d’une semblable situation était donc peu nécessaire à Marseille, tandis que d’autre part elle pouvait avoir pour lui les plus fâcheuses conséquences.

En effet, le célèbre républicain socialiste et athée Andrieux, chef alors du parquet de Lyon, qui s’acharnait à la poursuite des vrais révolutionnaires avec la rage d’un traître démasqué, envoya de tous côtés l’ordre de le rechercher activement. À Marseille, cet ordre fut transmis à M. Guibert, ancien conseiller municipal de l’opposition républicaine dans cette ville, qui s’empressa de lancer contre Bakounine un mandat d’amener, et chargea du soin de l’arrêter le citoyen Paul Gavard, commandant de la garde républicaine. Informés de ces dispositions, nous fûmes avec quelques amis trouver Gavard, qui plus tard devait être aussi condamné, au nom du gouvernement républicain, à la déportation perpétuelle pour le soulèvement du 10 mars 1871 à Marseille ; et il nous donna sa parole d’honneur de ne rechercher notre ami que là où il serait sûr de ne pas le trouver, et de ne point le voir s’il venait à le rencontrer.

Rassurés de ce côté, et décidés du reste à empêcher l’arrestation de Bakounine par la force si besoin était, nous fîmes une démarche auprès du citoyen Esquiros, administrateur supérieur des Bouches-du-Rhône, pour connaître ses dispositions par rapport à lui. Esquiros nous reçut bien, nous manifesta ses sympathies et son estime pour Bakounine, et nous déclara que, quoiqu’il lui eût été signalé comme agent prussien par le gouvernement de Tours, il n’ajoutait aucune foi à cette dénonciation.

« De mon côté, ajouta-t-il, il peut être parfaitement tranquille, il ne sera pas inquiété, et je ne me prêterai à aucune mesure commandée contre lui par le gouvernement. Cependant des agents spéciaux peuvent avoir été envoyés directement de Tours ou de Lyon pour l’arrêter et, dans ce cas, il me sera impossible, s’ils agissent sans m’en faire part, de les en empêcher. »

À Tours comme à Lyon, les républicains bourgeois, les Gambetta. les Challemel-Lacour, professaient une haine profonde contre les socialistes, et avaient un intérêt direct à s’emparer de notre ami. Dans l’entourage de Gambetta se trouvait d’autre part le général polonais Mieroslawski, ennemi personnel de Bakounine, qui usait en attendant, contre lui, de l’arme peu noble de la calomnie. Le danger n’était donc pas absolument écarté, et nous pressâmes de nouveau Bakounine de chercher un asile plus sûr.

  1. Alerini écrivit ces pages lorsqu’il eut appris la mort de Bakounine, et me les envoya comme contribution à une biographie future du grand agitateur révolutionnaire.