Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/452

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fait qu’à demi, et le lendemain [4], quand on se réveilla, on put voir quatre canons braqués contre la préfecture devant laquelle les avait amenés un des bataillons réactionnaires, le 3e.

Tant que la préfecture était gardée par nous, nous pouvons dire que nous étions les maîtres. La réaction le comprenait, mais les nôtres ne le concevaient pas. Comme garantie de paix, la bourgeoisie demanda l’évacuation de la préfecture par tout le monde. Sous prétexte qu’il fallait épargner le sang, on finit par convaincre les nôtres qu’il fallait quitter ce poste important. On ouvrit les portes ; il y eut une scène de fraternisation : ouvriers et bourgeois s’embrassèrent, et tous sortirent ensemble, se mêlèrent, et à l’ombre du drapeau de l’Internationale ils firent bras-dessus bras-dessous le tour de la ville. La farce était jouée, le baiser de Judas allait porter ses fruits.

Un quart d’heure après, la garde nationale défile devant la préfecture aux cris répétés de Vive Gent ! À bas Cluseret voleur ! On venait de faire courir un infâme bruit calomnieux contre Cluseret : on répétait à la Bourse qu’il avait emporté la caisse du Comité de défense contenant vingt mille francs.

Pour mon compte, j’avais refusé de quitter la préfecture ; je protestai, et, avec quelques hommes du 9e bataillon, je formai un corps de garde et nous occupâmes les issues. Je donnai pour consigne de ne pas reconnaître les laissez-passer signés Gent, et de ne permettre à qui que ce fût l’accès auprès de sa personne. Le soir, on nous fit souper, aux frais de la préfecture, dans un petit restaurant tout près. Quand nous revînmes, notre place était prise : la garde mobile l’occupait !

À partir de ce moment, on ne fait plus un pas à la préfecture sans être arrêté par quatre sentinelles de la bourgeoisie. Si les portes de nos villes étaient aussi bien gardées que celles de la préfecture de Marseille, il y aurait certainement plus d’une cité qui n’aurait pas vu les Prussiens.

Gent gouverne. Voici ses premiers actes : annulation des décrets de la Commune révolutionnaire, réinstallation provisoire de l’ancien maire et d’une partie de l’ancien Conseil municipal, en attendant que les électeurs, convoqués pour dimanche [13 novembre], nomment une nouvelle municipalité.

Esquiros, qu’on voulait maintenir quand même, contre Gent et contre Tours, a déclaré dans une proclamation qu’il ne voulait pas associer son nom à des luttes intestines dans ce moment, et qu’il maintenait d’une manière irrévocable sa démission[1]. On le porte pour le Conseil municipal ; on veut le nommer maire de Marseille. Avant-hier [le 7] , il a eu le malheur de perdre son fils, qui a été enterré civilement en libre-penseur. Il y avait un cortège immense à ses funérailles.

Cluseret, bien entendu, n’est plus rien, Gent ayant refusé de le reconnaître.

Un autre acte de Gent a été de refuser à la Ligue du Midi le droit d’envoyer des dépêches privées soit à Gambetta, soit à Lyon. Elle n’a pu correspondre, l’interdit a été mis sur sa correspondance télégraphique. La Ligue, non reconnue, et entravée par Gent, a décidé de

  1. Une douloureuse angoisse, d’ailleurs, étreignait son cœur et paralysait son énergie : il était retenu au chevet de son fils mourant.