Aller au contenu

Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/480

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne sera pas encore la fin. Comprends donc que j’ai commencé en croyant faire une brochure, et que je finis en faisant un livre. C’est une monstruosité, mais qu’y faire, si je suis un monstre moi-même ? Mais bien que monstrueux, le livre sera vivant et utile à lire. Il est presque entièrement écrit. Il ne reste qu’à le mettre au point. C’est mon premier et dernier livre, mon testament. Ainsi, mon cher ami, ne me contrarie pas : tu sais, il est impossible de renoncer à un projet cher, à une dernière idée, ou même de les modifier. Chassez le naturel, il revient au galop. Il ne reste que la question d’argent. On en a recueilli en tout pour dix feuilles ; or, il n’y en aura pas moins de vingt-quatre. Mais ne t’en inquiète pas : j’ai pris des mesures pour réunir la somme nécessaire. L’essentiel, c’est qu’il y a maintenant assez d’argent pour publier la première livraison de huit feuilles ; donc, imprimez et publiez sans crainte cette première livraison, telle que je vous le demande (et non telle que vous l’avez projeté). Dieu donne le jour, Dieu donnera aussi le pain[1].

Il me semble que c’est clair ; faites donc comme je vous le demande, vite et exactement, et tout ira bien.

Si cela dépendait de moi, je n’aurais laissé partir pour Paris ni Ross ni Lankiewicz, surtout le dernier. Mais je respecte la liberté des amis, et, une fois que je me suis assuré que leur résolution est inébranlable, je n’y contredis plus. Ross est déjà parti. Je crains qu’il ne tombe dans les griffes des ennemis avant d’avoir atteint Paris. Ces fils de chien sont maintenant acharnés contre tous les étrangers ; à Marseille ils ont fusillé des garibaldiens avec un plaisir tout particulier. Aussi longtemps qu’il ne se produira aucun mouvement sérieux en province, je ne vois pas de salut pour Paris. Je vois que Paris est fort et résolu, grâce aux dieux. On est enfin sorti de la période de la phrase pour entrer dans celle de l’action. Quelle que soit l’issue, ils sont en train de créer un fait historique immense. Et pour le cas d’un échec, je ne désire que deux choses : 1° que les Versaillais n’arrivent à vaincre Paris qu’avec l’aide ouverte des Prussiens ; 2° que les Parisiens, en périssant, fassent périr avec eux la moitié au moins de Paris. Alors, malgré toutes les victoires militaires, la question sociale sera posée comme un fait énorme et indiscutable.

Et s’il est possible de changer encore, intitulez mon livre ainsi : L’Empire knouto-germanique et la Révolution sociale.

Ton M. B.


Le no 3 de la Solidarité porte la date du 25 avril, il est entièrement rempli par des documents de la Commune de Paris, que précède la reproduction d’un article de la Liberté, de Bruxelles, intitulé : La fin de la bourgeoisie. Un supplément contient la Déclaration de la Commune de Paris au peuple français.

Le 25 avril Bakounine quittait Locarno, me télégraphiant pour m’annoncer son arrivée. Il avait reçu, le 23, mille francs de Gambuzzi (c’était un emprunt que Bakounine espérait rembourser avec l’argent qu’il avait fait réclamer à ses frères). Le 27 il était à Neuchâtel, le lendemain il se rendait à Sonvillier, — c’était la première fois qu’il allait au Val de Saint-Imier, — où il séjourna jusqu’au milieu de mai. On a vu, par sa lettre à Ozerof du 5 avril, que sa décision de se rapprocher de ses amis datait

  1. Proverbe russe.