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Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/496

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majorité des membres de la Commune n’étaient pas proprement socialistes, et s’ils se sont montrés tels, c’est qu’ils ont été invinciblement poussés par la force irrésistible des choses, par la nature de leur milieu, par les nécessités de leur position, et non par leur conviction intime. Les socialistes, à la tête desquels se place naturellement notre ami Varlin, ne formaient qu’une très infime minorité : ils n’étaient tout au plus que quatorze ou quinze membres. Le reste était composé de jacobins. Mais entendons-nous, il y a jacobins et jacobins. Il y a les jacobins avocats et doctrinaires, comme M. Gambetta... ; et il y a les jacobins franchement révolutionnaires, les héros, les derniers représentants sincères de la foi démocratique de 1793, capables de sacrifier et leur unité et leur autorité bien-aimées aux nécessités de la Révolution, plutôt que de ployer leur conscience devant l’insolence de la réaction. Ces jacobins magnanimes, à la tête desquels se place naturellement Delescluze, une grande âme et un grand caractère, veulent le triomphe de la Révolution avant tout ; et comme il n’y a point de révolution sans masses populaires, et comme ces masses ont éminemment aujourd’hui l’instinct socialiste,... les jacobins de bonne foi, se laissant entraîner toujours davantage par la logique du mouvement révolutionnaire, finiront par devenir des socialistes malgré eux.

Telle fut précisément la situation des jacobins qui firent partie de la Commune de Paris. Delescluze et bien d’autres avec lui signèrent des programmes et des proclamations dont l’esprit général et les promesses étaient positivement socialistes. Mais comme, malgré toute leur bonne foi et toute leur bonne volonté, ils n’étaient que des socialistes bien plus extérieurement entraînés qu’intérieurement convaincus,... ils ne purent jamais sortir des généralités, ni prendre une de ces mesures décisives qui rompraient à jamais leur solidarité et tous leurs rapports avec le monde bourgeois. Ce fut un grand malheur pour la Commune et pour eux ; ils en furent paralysés, et ils paralysèrent la Commune ; mais on ne peut pas le leur reprocher comme une faute. Les hommes ne se transforment pas d’un jour à l’autre, et ne changent ni de nature ni d’habitudes à volonté. Ils ont prouvé leur sincérité en se faisant tuer pour la Commune. Qui osera leur en demander davantage[1] ?

Ils sont d’autant plus excusables que le peuple de Paris lui-même, sous l’influence duquel ils ont pensé et agi, était socialiste beaucoup plus d’instinct que d’idée ou de conviction réfléchie. Toutes ses aspirations sont au plus haut degré et exclusivement socialistes ; mais ses idées ou plutôt ses représentations traditionnelles sont loin encore d’être arrivées à cette hauteur. Il y a encore beaucoup de préjugés jacobins, beaucoup d’imaginations dictatoriales et gouvernementales, dans le prolétariat des grandes villes de France et même dans celui de Paris...

La situation du petit nombre des socialistes convaincus qui ont fait partie de la Commune de Paris était excessivement difficile. Ne se sentant pas suffisamment soutenus par la grande masse de la population parisienne, l’organisation de l’Association internationale, très imparfaite elle-même d’ailleurs, n’embrassant à peine que quel-

  1. Rapprocher ce passage du dernier alinéa de la lettre que Bakounine m’avait écrite le 10 juin (p. 156).