Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/535

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d'enthousiastes propagandistes des idées nouvelles, précurseurs de cette société transformée par la Révolution, dans laquelle on pratiquera la justice et on jouira du bonheur ; et à la place je trouvais de profondes rancunes et de terribles inimitiés entre ceux qui auraient dû être unis par une seule volonté pour atteindre un même but.

... Je puis affirmer que toute la substance de la Conférence se réduisit à affirmer la prédominance d’un homme qui se trouvait présent, Karl Marx, à l’encontre de celle qu'était supposé vouloir exercer un autre homme, Michel Bakounine, absent.

Pour mettre à exécution ce projet, on avait réuni un dossier d'accusations contre Bakounine et l'Alliance de la démocratie socialiste, appuyées sur des documents, des citations et des faits de la vérité et de l'authenticité desquels personne ne pouvait s'assurer, soutenues en outre par le témoignage de tel délégué présent, comme le Russe Outine, par exemple, et qui pis est, par le silence couard de tel membre présent de l'Alliance, ou même, ce qui est bien pis encore, par quelques timides excuses[1] ; mais si tout cela, quoique répugnant par soi-même, se fit dans les séances de la Conférence avec une certaine apparence de régularité, au sein des commissions la haine se manifesta dans toute sa cruelle impudence. J’assistai un soir, dans la maison de Marx, à la réunion d’une commission chargée de faire un rapport sur l'Alliance, et je vis cet homme descendre du piédestal sur lequel l'avaient placé mon admiration et mon respect, et s'abaisser au niveau le plus vulgaire ; quelques-uns de ses partisans s'abaissèrent ensuite bien davantage encore, en pratiquant l’adulation comme s'ils eussent été de vils courtisans devant leur maître.

La seule chose qui eut un caractère authentiquement ouvrier et purement émancipateur, ce fut moi qui eus l’éminent honneur de la présenter à cette Conférence : c'était le Mémoire sur l'organisation, élaboré par la Conférence de Valencia... Travail perdu : le Conseil général et la majorité des délégués ne se souciaient pas de cela : ce qui les préoccupait surtout, c'était la question du commandement. Il n'était pas question de constituer une force révolutionnaire et de lui donner une organisation, en adoptant une ligne de conduite qui allât strictement à son but, mais de mettre une grande réunion d'hommes au service d'un chef. Je me vis seul dans mes sentiments et dans mes pensées ; je jugeai, peut-être par un mouvement d'orgueil, que j'étais le seul international présent, et je me sentis incapable de rien faire d'utile ; et lorsque j'exprimai, en quelques paroles, ma désillusion et mon déplaisir, on m'écouta comme on écoute tomber la pluie, et je ne produisis aucune impression quelconque...

Je m'en retournai en Espagne pénétré de cette idée, que notre idéal était plus distant que je ne l'avais cru, et que beaucoup de ses propagandistes étaient ses ennemis[2].


Les Résolutions des délégués de la Conférence de l’Association internationale des travailleurs réunie à Londres du 17 au 13 septembre 1871, résolutions rédigées non par ces délégués eux-mêmes, mais par une commission du Conseil général, qui les rédigea une fois la Conférence terminée, parurent en une brochure de 8 pages qui porte la signature de tous les membres de ce Conseil et la date du 17 septembre 1871.

  1. Lorenzo fait allusion à Bastelica.
  2. Anselmo Lorenzo, Ibid., pages 317-322.