Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étranger, mais que connaissaient F. Mora et Mesa, et qu’avait conçue Lafargue : il s’agissait de détruire la Alianza en l’absorbant. L’existence de la Alianza avait été révélée au gendre de Marx par quelques-uns des membres du Conseil fédéral, qui faisaient partie du groupe de Madrid. Un écrivain espagnol, qui connaît bien les détails de l’histoire des premières années de l’internationale en Espagne, l’auteur de l’article Del nacimiento de las ideas anarquicas-colectivistas en España (Revista social, Madrid, 31 janvier 1884 ; cité par Nettlau, p. 679), dit que, dès l’arrivée de Lafargue à Madrid, les rédacteurs de la Emancipación, membres de la Alianza, « l’initièrent et allèrent jusqu’à le proposer comme membre » ; d’ailleurs, dans une lettre datée du 2 juin 1872 et imprimée par Lafargue lui-même dans sa brochure A los internacionales de la région española (voir p. 307), ces mêmes hommes avouent qu’à Madrid, dès le mois de février, l’existence de la Alianza « avait cessé d’être un secret ». Sitôt qu’il fut au courant, reconnaissant dans le programme de la Alianza celui de Bakounine et de ses amis, Lafargue, d’accord avec Marx et Engels, résolut de tout tenter pour détruire cette société, et il fut assez adroit pour mettre dans son jeu les membres mêmes du groupe de Madrid, qui, gagnés par divers moyens, se prêtèrent complaisamment à ses machinations. Les auteurs du libelle de 1873[1] ont déclaré eux-mêmes que la destruction de la Alianza avait bien été en effet la secrète intention de ceux qui proposèrent la création de l’organisation des Defensores de la Internacional : « Le Conseil fédéral espagnol comprit qu’il y avait urgence à se débarrasser de l’Alliance. Les persécutions du gouvernement lui en fournirent le prétexte. Pour pourvoir au cas où l’on dissoudrait l’Internationale, il proposa de former des groupes secrets de Défenseurs de l’Internationale, dans lesquels devaient se fondre insensiblement les sections de l’Alliance. Mais l’Alliance, devinant le but caché de ce plan, le fit échouer. »

Anselmo Lorenzo raconte, au chapitre 32 de son Proletariado militante, son « excursion en Andalousie[2] ». Il visita Séville, où il vit Soriano, Marselau, rédacteur de la Razon, alors en prison, Rubio, et où la réunion du groupe de la Alianza fut tenue dans la cellule même où Marselau était alors enfermé ; Carmona, Utrera, Xérès ; Cadix, où militait Salvochea ; San Fernando, Puerto Real, où il vit Miguel Pino, « l’apôtre de la province de Málaga, puritain et fort comme peu, précieux tant comme homme d’action que comme homme prudent et de bon conseil » ; Loja, Grenade, et enfin Linarès. J’ai voulu savoir de Lorenzo s’il était vrai, comme l’ont prétendu les auteurs du libelle, que les membres de la Alianza eussent « fait échouer » le plan formé par le Conseil fédéral, dont ils auraient deviné le « but caché » ; Lorenzo m’a répondu (lettre du 28 décembre 1905) : « La création de groupes de Défenseurs de l’Internationale fut vue avec sympathie par les internationaux actifs et intelligents, et, du moins en Andalousie, les groupes mêmes de la Alianza se transformèrent en groupes de Défenseurs ou en noyaux fondateurs. À Seville, le groupe de la Alianza accepta le plan, et me donna des références et des adresses pour les autres localités andalouses ; les aliancistas de Cadix et de Málaga appuyèrent également l’idée. On prévoyait alors la possibilité d’une insurrection républicaine, et cette organisation avait été jugée un moyen très opportun et très efficace en vue d’une semblable éventualité : si les groupes de Défenseurs disparurent (si fracasaron los grupos de Defensores), c’est que le mouvement insurrectionnel attendu n’eut pas lieu ; s’il s’était produit, je crois

  1. L’Alliance de la démocratie socialiste, etc., p. 33. — Les lettres d’Engels à Sorge, récemment publiées, m’ont appris le nom des auteurs de ce triste pamphlet, que j’avais jusqu’ici attribué à Marx en personne : « C’est Lafargue et moi qui l’avons fait ensemble, écrit Engels le 26 juillet 1873 ; seule la conclusion est de Marx et de moi ».
  2. Il n’avait pas encore, à ce moment, de méfiance à l’endroit de Lafargue : ce fut même, détail amusant, avec un pardessus obligeamment prêté par le gendre de Marx et accepté en toute simplicité par le missionnaire du Conseil fédéral, que Lorenzo partit pour aller recruter des Défenseurs à l’Internationale (lettre du 28 décembre 1905).