Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/647

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Salut donc à vous, frère, à qui dans l’Internationale il a été fait le plus grand tort[1].

Rimini, le 6 août 1872.

Pour la Conférence :

Le secrétaire, Andrea Costa.                         Le président, Carlo Cafiero.


J’ai parlé à plusieurs reprises du mouvement socialiste en France et des relations que nous avions avec les militants de ce pays. Le rapport de notre Comité fédéral au Congrès jurassien du Locle, le 19 mai, disait : « De nombreux groupes en France, n’ayant pu constituer une Fédération française, nous ont envoyé leur adhésion ». Dans une lettre à Mathilde Rœderer, du 24 mai, Malon écrivait : « En France, jamais l’Internationale ne fut moralement si forte ; on peut compter une centaine de Sections (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Béziers, Narbonne, Bourgoin, Toulon, Saint-Etienne, Lille, Roubaix, Bordeaux, Tarare, etc.), sans compter les cent cinquante chambres syndicales qui se reconstituent et sont d’aspiration avec elle. La fameuse loi l’a fait connaître à toute la France ; mais il y a à craindre qu’elle ne la fasse dévier de son but en l’entraînant dans l’ornière des sociétés secrètes[2]. »

Mais il y avait dans deux ou trois villes françaises des représentants du Conseil général, investis par celui-ci de pleins pouvoirs, véritables proconsuls, qui s’occupaient, non à faire une propagande de principes, mais à calomnier et à proscrire ceux qui ne s’inclinaient pas devant leur autorité et celle des hommes de Londres. À Montpellier, par exemple, un étudiant en médecine, Paul Brousse, qui était en correspondance avec Jules Guesde, avait commis le crime d’engager les socialistes de cette ville à observer la neutralité dans la querelle qui divisait l’Internationale[3] : pour ce fait, son expulsion fut prononcée par un agent du Conseil général nommé d’Entraygues, que nous retrouverons plus loin. Des lettres diffamatoires étaient envoyées de Londres, par Serraillier et d’autres, contre d’anciens membres de la Commune, devenus membres de la Fédération jurassienne ; Mlle Eleanor Marx elle-même collabora à cette belle œuvre, en écrivant à l’une des deux jeunes Alsaciennes avec qui nous étions en relations, Élise Grimm, dont elle avait fait la connaissance à Londres, pour tâcher de la brouiller avec Mme André Léo ; elle n’y réussit pas ; avertie de cette manœuvre, Mme Champseix écrivait à ses jeunes amies (août 1872) : « Les Jurassiens, attaqués si vilainement dans leur honneur, se sont défendus en hommes de cœur, — pas en anges, c’est vrai : mais ils ne sont pas chrétiens... Vous avez jugé la lettre de Mlle Marx. Cette jeune personne qui écrit de si jolies choses, si elle n’est pas idiote, elle est responsable, et je ne saurais l’excuser. Je suis épouvantée de tant de méchanceté ignoble de la part de ces soi-disant socialistes[4]. »

Le 29 août 1872 (quatre jours avant le Congrès de la Haye), Malon écrivait de Chiasso (Tessin), où il se trouvait depuis la seconde moitié de juin, à Mathilde Rœderer :


Parlons encore de ce différend dans l’Internationale. Il vous désole : c’est juste. Cependant n’y a-t-il au fond que des haines personnelles ? Pour Marx, Outine, Bakounine, Serraillier, Vaillant, eh

  1. Allusion à la salutation des Fraticelli du XIVe siècle : « Au nom de celui à qui on a fait tort (Satan), salut ! », citée par Bakounine dans la Théologie politique de Mazzini, p. 56 (voir ci-dessus, p. 233).
  2. Lettre communiquée par Mme Charles Keller.
  3. « À Montpellier, M. Guesde avait pour confident un nommé Paul Brousse, étudiant en médecine, qui tâchait de faire de la propagande allianciste dans tout l’Hérault... Peu de temps avant le Congrès de la Haye,... Brousse tenta d’engager la Section de Montpellier... à ne pas se prononcer jusqu’à ce que le Congrès eût décidé les affaires pendantes » (L’Alliance, etc., p. 51).
  4. Lettre communiquée par Mme Charles Keller.