Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/659

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L’Allemagne ne possédant aucune Section de l’Internationale, mais seulement des adhérents individuels, ne pouvait envoyer au Congrès des délégués réguliers. Le Congrès de Bâle, en 1869, avait prévu le cas de délégués venant de pays qui se trouvaient dans la situation où était l’Allemagne ; et il avait décidé que, « pour les pays où l’Internationale rencontre des difficultés à s’établir à cause des lois, les délégués des sociétés ouvrières corporatives seront admis à discuter les questions de principes, mais ne pourront discuter et voter les questions administratives » (Résolutions administratives, n° VIII ; voir tome Ier, p. 209). En vertu de cette résolution, les représentants des sociétés ouvrières allemandes se trouvaient exclus d’avance des votes administratifs au Congrès de la Haye ; mais cela ne faisait pas le compte de Marx et d’Engels, à qui les voix des délégués allemands étaient indispensables pour constituer leur majorité. À tout prix, il fallait que les Allemands pussent voter. Pour éviter de se trouver sous le coup de la décision de Bâle, Bernhard Becker, Cuno, Dietzgen, Hepner, Kugelmann[1], Milke, Rittinghausen, Scheu, Schumacher, se présentèrent tous à la Haye comme délégués, non de simples sociétés ouvrières, mais de Sections de l’Internationale. Or, six mois auparavant, Liebknecht avait établi clairement, devant le tribunal de Leipzig, qu’il n’existait et ne pouvait exister en Allemagne que des adhérents individuels à l’Internationale, mais pas de Sections ; Bracke, membre du Comité du Parti de la démocratie socialiste, cité comme témoin, avait dit à l’audience du 23 mars : « Nous avons regretté que la loi ne nous permît pas de constituer une branche officielle de l’Internationale. Les membres de notre parti ne devenaient membres de l’Internationale qu’à titre individuel. » (Volksstaat du 27 mars 1872, page 3, 2e colonne.) Il était impossible de constater plus clairement qu’il n’existait pas de Sections de l’Internationale en Allemagne ; et pourtant, après ces déclarations solennelles, les amis de Marx osèrent se dire à la Haye représentants de Sections allemandes. Que doit-on penser d’un semblable procédé ? De plus, une condition sine qua non pour que le délégué d’une Section put siéger et voter au Congrès, c’était que la Section eût payé ses cotisations au Conseil général : or, Bebel avait déclaré, à l’audience du 11 mars (Volksstaat du 16 mars 1872, page 1, 2e colonne), que les internationaux allemands n’avaient jamais payé de cotisations à Londres[2].

Voici une nouvelle preuve que les délégués des soi-disant Sections allemandes ne représentaient pas des Sections. Un certain Milke figura à la Haye comme délégué de la Section de Berlin ; or, quelque temps après, le secrétaire de la Fédération anglaise, John Hales, écrivit à un membre de l’Internationale résidant à Berlin, Friedländer (qui avait siégé à la Haye comme délégué de Zürich), à propos d’une grève de relieurs ; Friedländer répondit à Hales qu’il n’existait pas de Section de l’Internationale à Berlin[3].

En France comme en Allemagne, la loi ne permettait pas de former des Sections de l’Internationale ; mais en France, pays où l’on se soucie moins de la légalité qu’en Allemagne, il existait réellement des Sections, malgré la loi et malgré certain décret de la Conférence de Londres[4]. Il pouvait

  1. Marx avait écrit à Kugelmann, le 29 juillet 1872 : « Au Congrès international (à la Haye, s’ouvrira le 2 septembre), il s’agit de la vie ou de la mort de l’Internationale, et avant de me retirer je veux au moins la protéger contre les éléments dissolvants. L’Allemagne doit donc avoir le plus de représentants possible. Comme tu viendras sans aucun doute, écris à Hepner que je le prie de te procurer un mandat de délégué. »
  2. Ce qui n’empêcha pas la Commission de vérification des mandats d’avoir le front de déclarer aux délégués espagnols, comme on le verra plus loin (p. 331) que toutes les Sections dont les délégués avaient été admis par elle avaient payé leurs cotisations.
  3. Déclaration de Hales au Congrès de la Fédération anglaise à Londres, 20 janvier 1873.
  4. La résolution X de la Conférence disait : « Toute constitution de Section internationale sous forme de société secrète est et reste formellement interdite ». Le Conseil général et ses partisans jugèrent opportun, quand il s’agit des mandats français, d’oublier l’existence de ce texte ; quant à nous, il nous aurait répugné de l’invoquer pour en tirer avantage.