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point déserté la cause socialiste. Ce ne fut qu'un an plus tard, dans l'été de 1869, qu'il ne nous fut plus possible de nous faire des illusions : nous dûmes reconnaître que Coullery avait décidément passé à l'ennemi ; et en 1877, un document que reproduisit le Bulletin de la Fédération Jurassienne (n° 19, p. 4, 13 mai 1877), et qu'on trouvera en son lieu, nous donna la preuve écrite que dès 1868 il était l'agent et le complice du parti conservateur.

La Liberté, qui servait alors d'organe officieux à l'Internationale de Genève, apprécia de la façon suivante (numéro du 9 mai 1868) la conduite des coullerystes :

« Les élections au Grand-Conseil qui ont eu lieu dimanche dans le canton de Neuchâtel seront, nous l'espérons, une leçon suffisante pour le parti de la démocratie sociale de la Chaux-de-Fonds. Allié de fait aux conservateurs royalistes, ce parti n'a réussi qu'à faire arriver au pouvoir législatif les adversaires déclarés de toute idée de réforme et de progrès[1] ; aveuglé par sa haine de la coterie radicale, il a tout sacrifié au succès, — et le succès lui a manqué. »

Au Locle, les membres de l'Internationale avaient constitué pour les élections un comité dont les cartes de convocation portaient l'en-tête : République démocratique et sociale. Le vétéran du parti radical au Locle et son chef le plus autorisé, Henri Grandjean, vint aux séances de ce comité, et lui fit l'offre, au nom de son parti, de placer un socialiste sur la liste radicale. Nous acceptâmes la proposition avec la conscience parfaitement tranquille : n'avions-nous pas toujours dit que nous souhaitions de tout notre cœur de voir les radicaux consentir à venir au socialisme ? Nous désignâmes comme notre candidat le citoyen Augustin Monnier. Toute la liste radicale passa, saut le candidat socialiste, resté sur le carreau avec les voix des seuls internationaux, les électeurs radicaux ayant, sur leur bulletin de vote, biffé son nom, et beaucoup l'ayant remplacé par celui d'un conservateur, qui fut élu. Les socialistes loclois, ainsi joués, jurèrent qu'ils ne seraient pas dupes une seconde fois, et ils résolurent de s'abstenir désormais de toute participation aux élections politiques.

VII


La grève du bâtiment à Genève (mars-avril 1868). — L'Internationale à Paris ; procès et condamnation des deux premières Commissions parisiennes (mars et mai 1868).


C'est au printemps de 1868 qu'eut lieu à Genève (mars) la fameuse grève des ouvriers en bâtiment, qui eut un si grand retentissement. Cette grève fut l'occasion d'un bel élan de solidarité : les Sections genevoises de la « fabrique »[2] firent cause commune avec les corporations du bâtiment, et puisèrent généreusement dans leurs caisses de résistance pour aider les grévistes ; dans les autres localités de la Suisse française, on ouvrit des

  1. C'est-à-dire qu'à faire élire à la Chaux-de-Fonds quelques conservateurs. Mais le parti radical avait gardé la majorité au Grand-Conseil.
  2. On appelle à Genève « ouvriers de la fabrique » ceux qui sont occupés à la fabrication de l'horlogerie, de la bijouterie et des pièces à musique : non pas qu'ils travaillent dans une fabrique, mais parce que, dans le langage genevois, l'ensemble de l'industrie horlogère (qui est l'industrie « nationale »), patrons et ouvriers, s'appelle en un seul mot la « fabrique ». Ces ouvriers sont presque tous citoyens genevois ; leurs salaires sont plus élevés que ceux des ouvriers du bâtiment ; ils ont plus d'instruction que ceux-ci ; ils exercent des droits politiques, — tandis que les ouvriers du bâtiment sont en majorité des étrangers, — et ils sont en conséquence traités avec beaucoup de ménagements par les chefs de parti bourgeois.