Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce fut sur l’insistance de Bakounine que l’invitation à se faire représenter au Congrès de Berne fut adressée à l’Internationale[1] ; et Perron, qui se rendait au Congrès de Bruxelles comme délégué, promit d’appuyer de toutes ses forces une entente entre les deux associations[2]. Aussi, lorsque fut connue la résolution votée par le Congrès de Bruxelles et lue en séance publique le samedi 12 septembre, fut-ce à Bakounine qu’on s’en prit, chez les ligueurs, en lui reprochant d’avoir fait faire à la Ligue une démarche qui n’avait abouti qu’à un refus mortifiant. Le président de la Ligue, Gustave Vogt, lui écrivit, à ce sujet, une lettre dont on ne possède pas le texte ; mais on a celui de la réponse de Bakounine[3], qui permet de deviner ce que devait être le contenu de la lettre du président. Voici les principaux passages de cette réponse :


Cher ami,

Je m’empresse de te répondre. Non, je n’ai jamais eu l’intention de noyer notre Ligue dans la Ligue internationale des ouvriers. Reconnaître et annoncer que nous prenons pour point de départ et pour base de nos principes politiques les grands principes économiques et sociaux qui sont acceptés par la Ligue internationale des ouvriers, ne signifie pas se mettre à la remorque et devenir l’esclave de cette Ligue. Les principes sociaux ne constituent la propriété de personne. Ils sont plus naturellement représentés par les ouvriers que par l’intelligence qui s’est développée au milieu de la classe bourgeoise, parce que les ouvriers y sont poussés par les besoins de

  1. Voici la lettre qui fut adressée par Gustave Vogt (l’un des frères de Karl Vogt), président du bureau de la Ligue de la paix et de la liberté, au président du Congrès de l’Internationale à Bruxelles (cette lettre se trouve dans le Compte-rendu officiel du Congrès, p. 41) :
    « Monsieur le président, La Ligue internationale de la paix et de la liberté, constituée au Congrès de 1867, à Genève, ne veut pas laisser passer le Congrès des Travailleurs, réuni en ce moment à Bruxelles, sans lui exprimer ses profondes sympathies et lui transmettre ses vœux ardents pour le succès de la réforme sociale, but élevé de l’Association des travailleurs.
    Courage, amis ! et tous ensemble brisons aussi bien les barrières que les préjugés et d’injustes institutions ont élevées entre les diverses parties du corps social, que les barrières de haine au nom desquelles on a jusqu’ici rué les uns sur les autres des peuples faits pour se respecter et s’aimer mutuellement.
    Nous vous prions, monsieur le président, d’être l’interprète de nos sentiments auprès des membres du Congrès des Travailleurs, et de les inviter à notre second Congrès, qui s’ouvrira à Berne le 21 septembre prochain.
    Nous saisissons cette occasion de vous présenter nos cordiales salutations.
    Au nom du bureau de la Ligue : Le président, G. Vogt. »
  2. Bakounine adressa lui-même une lettre au Congrès de l’Internationale, lettre dont il fut donné connaissance par De Paepe dans la seconde séance (6 septembre). On lit dans le Compte-rendu officiel, p. 4 : « De Paepe rend compte d’une lettre de Bakounine, le socialiste russe, qui envoie à l’Internationale son salut fraternel, et regrette que ses occupations l’empêchent d’assister au Congrès ». En outre, dans la quatorzième séance (12 septembre), où Fritz Robert rendit compte de la correspondance reçue par le Congrès les 9, 10, 11 et 12 septembre, le rapport présenté par Robert mentionne : « Le programme de la démocratie socialiste russe, publié par Bakounine, à Genève, dont voici les points principaux : Au nom de l’affranchissement intellectuel des masses populaires, au nom de l’affranchissement économique et social du peuple, nous voulons : 1o  L’abolition du droit de la propriété héréditaire ; 2o  l’égalisation complète des droits politiques et sociaux de la femme avec ceux de l’homme ; 3o  l’abolition du mariage en tant qu’institution religieuse, politique, juridique et civile. Toute organisation politique ne devra plus être à l’avenir qu’une libre fédération de libres associations tant agricoles qu’industrielles. »
  3. Max Nettlau l’a publiée dans sa biographie de Bakounine (Michael Bakunin, eine Biographie ; trois volumes in-folio, autographiés, tirés à 50 exemplaires seulement), p. 253. — Je ferai de nombreux emprunts à cette œuvre remarquable, où sont réunis un très grand nombre de documents précieux.