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d’un marchand de papier. J’entre pour examiner les objets qu’elle renferme. J’y vois des pinceaux pour écrire, des encriers, de l’encre de Chine, quantité de mains de papiers chinois et japonais de toute grandeur et de toute couleur, et une cargaison de ce papier de Corée jaune clair, au tissu si résistant qu’on peut difficilement le déchirer. Grâce à cette qualité, il remplace, en Chine, nos verres à vitres ; après avoir été préparé dans un bain d’huile, il se transforme en un tissu, imperméable à la pluie, dont on se sert pour recouvrir les parapluies indigènes et faire les waterproofs chinois. Je demande au marchand si ce papier de Corée se fabrique dans les environs ; il me répond qu’il lui vient des régions du Nord, et qu’il tire sa solidité de ce qu’il est fabriqué avec de la pâte tirée de l’écorce du mûrier. Cette indication peut être vraie, mais un passage d’un ouvrage de M. Pietro Savio[1], très au courant des procédés industriels, que j’ai lu pendant un voyage que j’ai fait au Japon, serait de nature à me faire supposer que le papier de Corée doit ses qualités à un liquide, tiré d’une plante inconnue, qui sert à le coller.

Je continue mon exploration des boutiques, malgré le peu de succès de mes premières étapes. Au reste, la promenade fort lente que je fais pour rechercher des bibelots du cru est des plus propices pour me permettre d’étudier un peu les mœurs des Coréens chez eux. Cela m’est d’autant plus facile que, soit respect, soit indifférence, les passants s’inquiètent peu de notre présence, et nous pouvons nous mouvoir, nous agiter, sans être à moitié étouffés par un cercle de badauds, assez mal intentionnés en général pour les diables d’Occident, qui obsèdent le voyageur dès qu’il met le pied dans une ville chinoise. Les enfants eux-mêmes, au lieu de fuir à notre approche, comme le font les petits Chinois, continuent à prendre leurs ébats, sans avoir même l’air de nous remarquer ; seul le beau sexe nous tient rigueur ; dès que nous apercevons une forme s’enfuir devant nous, ou disparaître vivement derrière une porte, notre guide japonais se tourne vers nous en riant, et nous dit : c’est une pièce[2] de femme. Quant à notre guide coréen, il se

  1. La prima spedizione italiana nel intorno del Giappone di Pietro Savio. Milan, 1873. Travail remarquable pour les renseignements qu’il renferme au sujet de l’éducation des vers à soie au Japon.
  2. Dans le pidjin-english, mélange d’anglais, de portugais, de chinois et de japonais, que parlent tous les habitants des ports de l’Extréme-Orient, la particule numérale est toujours suivie du mot pici, pièce, qui fait corps avec elle, et qui tient lieu des particules que les Chinois employent devant les substantifs, dans leur langue.