Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/79

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La justesse des théories émises par Zoï me frappa tellement que lorsque je retournais à la terre coréenne, nous étions déjà sortis de la ville. D’abord, l’idée de suprématie de la race chinoise, qui est enracinée chez tous ses vassaux explique comment un peuple des plus pacifiques a pu non seulement vivre paisiblement au milieu de voisins très entreprenants, mais quelquefois les soumettre à sa domination, bien plus par la diplomatie que par la force. Quant à ses idées au sujet de la situation économique du Japon, j’y retrouvai une théorie, toute récente en Europe, où elle doit le jour à un économiste de grand talent, M. Yves Guyot, sur les causes des crises que l’on attribue généralement à un excès de production, tandis qu’elles viennent, ainsi que l’a fort bien démontré ce savant écrivain, d’un excès de consommation. Où mon Coréen avait-il été chercher une solution aussi complexe d’un problème qui défie encore la sagacité de nos savants ? Bien certainement dans son bon sens d’homme rustique, car j’ai peine à croire qu’il eût jamais entendu parler de « la science économique » ce résumé de la science fort abstraite de l’économie politique qui devrait être entre les mains de tous les écoliers et élèves de nos écoles normales primaires.

Pour retourner à Fou-sang, nous prenons le plus long chemin ; nous sortons de Toraï du côté opposé à celui par lequel nous sommes arrivés, ce qui fait que notre route longe pendant un certain temps, à distance, les murs de cette ville. Nous cheminons au pied du temple que j’ai aperçu la veille du haut des murailles ; de l’endroit où nous sommes, un renflement de la colline nous cache ses murs, et son grand toit, aux angles allongés et relevés, semble reposer sur la terre. Ainsi vu, ce toit gris ressemble étonnamment à une tente, et je compris mieux alors combien l’attrayante théorie de Charles Blanc, qui veut que l’architecture d’un peuple soit une réminiscence, plus ou moins perfectionnée, des abris où reposaient ses ancêtres, paraît vraisemblable quand les circonstances ou la pensée dépouillent les édifices de ces mille détails qui cachent leurs grandes lignes[1]. Tous les peuples du nord de l’Asie ont vécu sous la tente, alors qu’ils étaient pasteurs nomades. Quelques-uns d’entre eux ont même conservé, jusqu’à nos jours, cette existence vagabonde, comme les Mongols et les Mandchoux.

  1. Il a exposé cette ingénieuse théorie dans sa Grammaire des arts et du dessin.