Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/128

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fis encore quatre kilomètres sous un soleil aussi féroce que celui qui mûrissait les raisins de Robinson Crusoë, jusqu’au village de Pardies dont on célébrait la fête patronale ce dimanche-là.

Une bouteille de limonade pétait. On s’essuyait le front. Il y avait sur les chevaux de bois des amoureux qui se croyaient seuls au monde et des curieux que réjouissaient la loterie et le tir. Une partie de ce tir était affectée à un jeu de massacre. Un enfant villageois, dont la face ressemblait à un bol rose, tirait un son nasillard d’un mirliton, ce qui semblait ravir un petit chien. Deux rangées de lanternes vénitiennes étaient suspendues entre les arbres et s’entre-croisaient au milieu de la place, prêtes à être allumées le soir. Quatre ménétriers, trombone, clarinette, cornet à piston et grosse-caisse, faisaient rage. Une douce odeur d’étable attristait la musique, cependant que les paysannes tournaient, belles, belles jusqu’aux lacets de la chaussure. Leurs cavaliers, fiers comme des coqs, les tenaient pressées d’une main plate et puissante, et quelques-uns ne lâchaient point la cigarette