Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/130

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locale, battant la mesure à de braves artisans pour lesquels Damidoff devait être le plus grand musicien du monde ? Ce que je revoyais, c’était l’immense rosier grimpant qui s’épandait au-dessus de la porte d’entrée du château natal d’Abidos, les jeunes filles rieuses qui venaient nous rendre visite et dont l’une était si belle que mon adolescence l’imaginait chassant à l’arc.

Un jour, que je lui avais donné une des fleurs à chair de coquillage du rosier grimpant, elle m’embrassa. De ce baiser date ce grand coup de soleil qui brûle encore ma tête et qui me poussa à mille folies, dont la principale fut de me découvrir la vocation poétique.

De vingt-cinq à trente ans, j’ai rimé un livre de madrigaux tout en dévorant ou jouant ma part des héritages paternel et maternel, soit trois cent mille francs. Je ne songeais guère à mes désastres passés en écoutant le Rosier grimpant de Damidoff, mais seulement à ce rideau fleuri que le vent chaud du souvenir gonflait comme une voile vers Cythère.