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FEUILLES DANS LE VENT

… Je me souviens d’un laurier bénit entre autres… Mais comment exprimer l’émotion qu’il me donna ? C’était par une matinée dominicale, dans une de mes promenades solitaires. Le champ où je me trouvais, fraîchement bouleversé par la charrue, ressemblait à une eau frappée par le soleil. Des flots de terre luisants s’étendaient, comme ceux de l’Océan, avec cette différence que les flots du labour semblaient s’être immobilisés tout à coup comme ceux du Jourdain ou de la mer Rouge quand les Israélites allèrent d’un bord à l’autre. Ni un oiseau, ni un bœuf, ni d’autre spectateur que moi. Ce n’était qu’un morne silence de la lumière, un silence sur quoi planait une grande bénédiction. Seul, dans un coin du champ, s’élevait un rameau bénit qu’un vieil usage avait fixé là pour la protection des futures semailles. Je contemplai cette branche et il me sembla qu’elle parfumait mon cœur. Qu’était ce laurier mystérieux pour qu’il m’émût à ce point ?… Peut-être, planté là par