Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/399

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le contenu de sa fiole sans qu’il s’en aperçût et le remplaçai par de l’eau vinaigrée. Quand Paillassin se fut rassis, il reprit sa fiole. Et tout l’après-midi, il la vidait à petites gorgées sans s’apercevoir de la substitution, et il me chantait :


Tu n’en as pas,
Tu bisques, tu rages,
Tu manges du fromage.


On nous distribuait des croix d’honneur, de petites croix d’étain, te souviens-tu ? Je dois dire que je gagnais la croix plus souvent que toi qui étais un peu irrégulier, déjà un artiste. Mais je pense que la croix d’honneur on l’attachera sous peu à ton habit, et ce sera pour toujours. Et tu l’auras bien méritée et pour ta belle poésie et pour la fidélité de ton cœur à tes amis. Tu sais, mon vieux Pierre, quand un de mes camarades est dans la joie ou dans le deuil, j’y suis aussi. Et quand tu seras dans la Légion d’honneur, ce sera un peu comme si j’en faisais partie. Et puis il en est si peu qui, aujourd’hui, peuvent porter cette distinction la tête haute, qui n’ont pas quelque vilenie à cacher.