Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/468

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gens qui pourraient s’étonner… encore à cause des gens… toujours à cause des gens… Elle revient. Elle va être là ; être là. Je pense à nos fiançailles, aux Cerises, il y a neuf ans. J’étais si fier parce qu’elle était plus fine que moi ! Et j’avais peur, j’étais timide… On est timide quand on est devant quelqu’un dont on se pense indigne. Elle était si belle ! Et je ne savais que lui dire ; il aurait fallu avoir une autre langue que la mienne pour lui parler… la langue de celui qui m’a trahi. Elle relevait sa robe au-dessus des chevilles pour entrer dans l’étable où un petit veau venait de naître. Elle disait : Il est bouclé et il est têtu. Et elle disait encore : Paul, vos instruments agricoles sont comme de beaux insectes avec leurs ailes d’acier, leurs corselets rouges et verts. Et moi je retenais des phrases comme celles-là parce que l’on retient tout de ceux que l’on aime… Il me semblait, lorsque je l’écoutais, que mon cœur mûrissait dans un soleil vivant et réjoui. Et quand, au soir, elle quittait les Cerises, je remontais faire les comptes des ouvriers. Et j’étais bête, comme on dit ; je pleurais et