Page:Jammes - Feuilles dans le vent, 1914.djvu/95

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doute le plus mutilé d’entre eux eût offert sa vie pour son pays. Peu d’hospitalisés faisaient exception à cette règle. Une fois pourtant, un barbier qui était venu se faire soigner pour un anthrax, répétait : « Il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de patrie ; il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de patrie. » Mais il se rendait comme les autres à la bénédiction et il rendait le salut militaire à un vieux qui arborait la médaille de 1870-1871. C’est pour blaguer qu’on dit des choses comme ça, mais ce n’est pas sérieux. À l’hospice on apprend à connaître les hommes.

Cet autre avait tenté fortune en Amérique et sa vie avait été comme une image d’Épinal peinte pour empêcher les gens de s’expatrier : L’enfance dans un doux village qui a un clocher d’ardoises ; les progrès à l’école dont les murs s’ornent des tableaux des oiseaux utiles et nuisibles ; la première communion blanche, noire et dorée ; l’apprentissage dans la forge sombre et rouge ; le retour au pays d’un voisin enrichi à Buenos-Ayres ; le prestige de cet homme roulant carrosse ; 1 envie que son opulence inspire à l’apprenti