Page:Jammes - Le Deuil des primevères, 1920.djvu/176

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Tout ça est là comme un grand océan de bonté
où tombent la lumière et la sérénité
et, de sentir leur sève au soleil clair de joie,
les feuilles chantent en remuant dans les bois.
Mon Dieu, puisque mon cœur, gonflé comme une grappe,
veut éclater d’amour et crève de douleur :
si c’est utile, mon Dieu, laissez souffrir mon cœur…
Mais que, sur le coteau, les vignes innocentes
mûrissent doucement sous votre Toute-Puissance.

Donnez à tous tout le bonheur que je n’ai pas,
et que les amoureux qui vont se parler bas
dans la rumeur des chars, des bêtes et des ventes,
se boivent des baisers, la hanche sur la hanche
Que les bons chiens paysans, dans un coin de l’auberge,
trouvent la soupe bonne et s’endorment au frais,
et que les longs troupeaux des chèvres traînassantes
broutent le verjus clair aux vrilles transparentes.
Mon Dieu, voici : négligez-moi si vous voulez…
Mais… merci… Car j’entends, sous le ciel de bonté,
ces oiseaux qui devraient mourir dans cette cage,
chanter de joie, mon Dieu, comme une pluie d’orage.