Page:Jammes - Le Deuil des primevères, 1920.djvu/210

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depuis qu’Adam et Ève au fond du Paradis
surgirent sous les fruits énormes de lumière.
Mon Dieu, je suis pareil à la plus humble pierre.
Voyez : l’herbe est tranquille, et le pommier trop lourd
se penche vers le sol, tremblant et plein d’amour.
Enlevez de mon âme, puisque j’ai tant souffert,
l’orgueil de me penser un créeur de génie.
Je ne sais rien. Je ne suis rien. Je n’attends rien
que de voir, par moments, se balancer un nid
sur un peuplier rose, ou, sur le blanc chemin
passer un pauvre lourd aux pieds luisants de plaies.
Mon Dieu, enlevez-moi l’orgueil qui m’empoisonne.
Oh ! Rendez-moi pareil aux moutons monotones
qui passent, humblement, des tristesses d’Automne
aux fêtes du Printemps qui verdissent les haies.
Faites qu’en écrivant mon orgueil disparaisse :
que je me dise, enfin, que mon âme est l’écho
des voix du monde entier et que mon tendre père
m’apprenait patiemment des règles de grammaire.
La gloire est vaine, ô Dieu, et le génie aussi.
Il n’appartient qu’à Vous qui le donnez aux hommes
et ceux-ci, sans savoir, répètent les mêmes mots
comme un essaim d’été parmi de noirs rameaux.