Page:Jammes - Le Deuil des primevères, 1920.djvu/88

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Que je voudrais savoir si le cadran solaire
existe encore à l’angle où les lauriers d’Espagne
luisent dans la tristesse humide de l’allée.
Je me souviens du jour de mon embarquement :
les bouches contractées avalèrent des larmes,
et les dernières fleurs que tu m’avais cueillies
furent les plus dorées de la chaude prairie.

Je ne parlerai pas comme Robert-Robert
des nègres bleus que les coups de rotin brûlèrent,
ni du typhus ardent, ni des larges averses.
D’autres, autorisés plus que moi, évoquèrent
les voyageurs prostrés sous les coups de tonnerre.

Je parlerai de l’ensuite de cette vie,
et du deuil qu’aujourd’hui me laisse ma naissance.
Pourquoi si tout est mort est-ce donc que j’existe ?
En vain, je vois blanchir la poussière aveuglante.
Et la charrette à âne où tu te promenas
ne peut plus apparaître au sommet de la route.
Et je suis inquiet. Mon cœur pleure. Je doute.
Ton fouet aux néfliers ne s’accrochera pas.