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Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/16

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LE ROMAN DU LIÈVRE

couleur de chaume, se détendirent ainsi que ses ongles usés et rognés. Et il bondit par la haie, boulé, les oreilles à son derrière.

Et, encore, il remonta longuement tandis que les chiens désolés perdaient sa piste. Et, encore, il redescendit jusqu’à la route de Sauvejunte où il vit venir un cheval attelé à une carriole. Au loin, cette route poudroyait comme dans sœur Anne, lorsque l’on dit : « Ma sœur, ne vois-tu rien venir ? » La sécheresse pâle en était magnifique, amèrement embaumée par les menthes. Bientôt le cheval fut auprès de Lièvre.

C’était une rosse qui traînait un char-à-bancs et qui ne pouvait plus qu’aller au galop, par à-coups. Chaque élan faisait sursauter sa carcasse disloquée, secouait son collier, éparpillait sa crinière terreuse, luisante et verte comme la barbe d’un vieux marin. La bête soulevait avec peine, comme s’ils eussent été des pavés, ses sabots gonflés ainsi que des tumeurs. Lièvre prit crainte de cette grande machine vivante qui remuait en faisant un tel bruit. Il fit un bond et continua sa fuite sur les prés, le museau vers les Pyrénées, la queue vers les Landes, l’œil droit vers le soleil levant, l’œil gauche vers Mesplède.