Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/269

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solation d’un pauvre animal qui ne se sent plus maltraité. Et une immense pitié me prenait pour cette amie. Je sentais qu’elle considérait son métier comme une tâche importante, mais ingrate. Elle attendait ainsi, longtemps, le train d’une banlieue où elle habitait.

Un soir, elle me demanda la permission de m’accompagner un bout de chemin.

Nous arrivâmes sur une grande place illuminée où il y avait un grand théâtre. Sur l’un des piliers de ce monument, il y avait une affiche brillante et dorée. Elle représentait Sarah Bernhardt, dans le costume de la Tosca, je crois, avec une robe raide et riche et une palme à la main. Et je songeais à ce que l’on m’avait raconté sur cette femme célèbre, ses caprices obéis, ses dépenses, son tombeau, son orgueil.

Et je sentis que la pauvre petite misérable tressaillait à mon côté. Elle voyait cette idole barbare se dresser et rejeter, inconsciemment, sur elle, l’éclaboussure de ses doreries.

Et j’eus envie de crier de douleur devant cette confrontation. Et je me disais :

— Toutes deux, elles sont nées d’une femme. L’une tient une palme, et l’autre un vieux parapluie si lamentable qu’elle n’a pas osé l’ouvrir devant moi.