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TUGGURTH


Souv. du 5 avril 1896.


Vers onze heures, le soleil inondait le marché. Des jarres vides de goudron bâillaient sous l’azur insensé. Les dromadaires furieux criaient. Nous buvions d’étranges boissons, nous mâchions d’une espèce de résine. La lumière était de feu. Elle ternissait les cœurs sanglants des piments, auprès des têtes de moutons et des dattes sèches. Elle noircissait les caillots coagulés aux poils poussiéreux des cuisses de chameaux tués pour la boucherie.

Vers cinq heures, tout s’adoucissait. Les cafés maures étaient calmes. Au loin ronflait un tambour sourd. Un bêlement de chèvre emplissait l’étendue mortelle.

Le soleil sombrait aux sables. Les chameaux tangueurs, aux rognures bleues, et les ânes patients emportaient des feuilles vers Temacin.

C’étaient de mouvants parterres sur des morceaux de désert mouvant.