Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/34

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Ce fut le Loup qui parla le premier.

Il leva son museau vers François. Sa queue usée était balayée par le vent. Il toussa. Une longue misère le vêtait. Sa fourrure piteuse lui donnait l’air d’un roi dépossédé. Il hésitait, regardant tour à tour chacun de ses compagnons. Enfin, sa voix passa par son gosier, la voix rauque de la neige natale. Et, comme il ouvrait ses babines, on vit toute sa souffrance ancienne à la longueur de ses dents. On ne savait, tant son expression était sauvage, s’il allait mordre ou lécher son maître.

Il dit :

— Ô miel sans abeilles ! Ô Pauvre ! Ô Fils de Dieu ! Comment te quitterais-je ? Mon existence était mauvaise et tu l’as remplie de joie. Il me fallait, durant des nuits, épier la respiration des chiens, des pâtres et des feux, pour saisir l’instant où enfoncer mes crocs dans la gorge des agneaux endormis. Tu m’appris, ô Béni, la douceur des vergers. Et même, lorsqu’à présent mon ventre se creusait sous le désir de la viande, je me nourrissais de ton amour pour moi. Combien, parfois, me fut agréable ma faim lorsque je posais mon museau sur ta sandale, car cette faim je la souffre pour te suivre, et je mourrai volontiers pour ton amour.