Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mourant d’amour pour une même jeune fille, avaient déserté leur cité pour mener une vie pastorale. Ces brebis avaient les voix les plus douces : celles des cœurs qui aiment, en secret, leurs blessures. Elles buvaient sur les serpolets les larmes toujours fraîches et brûlantes que ces poètes bucoliques laissaient, comme une rosée, tomber des calices de leurs yeux.

À l’horizon de ce Paradis s’élevait une rumeur confuse comme celle de l’Océan. C’était des sanglots interrompus de flûtes ou de clarines, des appels répercutés par les gouffres, l’aboi des chiens inquiets, la chute dans le vide d’une pierre fleurie. C’était le gonflement des cascades au-dessus du fracas des torrents. C’était comme la voix d’un peuple en marche vers des terres promises, vers des grappes sans nom, vers des épis de feu, mêlée au braiement des ânesses pleines qui portaient les bidons lourds de lait, et les manteaux du pâtre, et le sel, et les fromages qui s’écaillent comme des marnes.