Page:Jammes - Vers, 1892.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Le Lointain Voyage


À Charles Veillet.



Tu t’en vas comme un jeune et fier écervelé.
Moi, plus rêvasseur, tel je m’en serais allé
Que le vieux Crusoé dans sa robe à ramages,
Ainsi qu’il est encor dans les douces images :
En perruque à marteaux, radieux sur les quais,
Près de malles en bois de camphre et de paquets.

Lors, j’eusse rapporté de criardes perruches
De ces pays lointains, et des œufs des autruches,
— Car, cette époque-là, nous nous la rappelons
Par les objets naïfs de quelques vieux salons
— Rares objets — car, à peine s’il reste encore,
À côté d’un coffret de laque, une mandore
Où glissèrent les doigts de grands aïeux tremblants
Qui revinrent de l’Inde avec des cheveux blancs.

La poésie était alors dans le commerce,
Comprends-le si tu peux ; je m’entends : c’est l’inverse.