Page:Jammes - Vers, 1894.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1


J’ai été visiter la vieille maison triste
du village où vécurent les anciens parents :
la route en cabriolet, pleine de soleil
était toute triste et douce comme le miel.
Il y avait la plaine bleue et des pigeons
qui volaient le long des labours que nous longions.
La jument était bien vieille et bien fatiguée.
Elle me faisait de la peine et semblait âgée
comme les choses de l’ancien temps où j’allais.
Je savais que, depuis cent ans, ils étaient morts,
les vieux parents naïfs, doux, aux yeux sans remords,
qui allaient sans doute à la messe le dimanche
avec leur plus magnifiques chemises blanches.
J’avais appris qu’ils avaient demeuré jadis
dans ce village loin où alors je partis
pour voir si je reconnaîtrais cette patrie
où doivent être leurs tombes pleines d’orties.
En arrivant je déposai le petit chien
doux qui dormait sur mes genoux entre mes mains.
Le paysan se mit à l’ombre de la place
qui était au soleil froide comme la glace.
C’était midi au vieux clocher tout ruiné,
près d’une tour vieille comme le passé,
et des gens à qui je m’adressais répondaient :
les gens dont vous parlez… nous n’avons pas idée…
il y a très longtemps, sans doute, très longtemps…
il y avait une femme de quatre-vingts ans