Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/117

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retranchant tout le reste. Ainsi chaque jour ajoutait aux petits bonheurs que le bon lieutenant apportait dans cette prison, très étonnée et scandalisée, on pourrait le dire, de toutes ces joies.

Il y eut un jour où le lieutenant de Maison-Rouge, oublieux de toute espèce de discipline, s’en vint présenter à Mlle de Launay les hommages d’un prisonnier logé dans la tour de la Liberté, ainsi nommée par une aimable ironie à laquelle tous les porte-clefs ajoutaient les bons mots de leur façon. Ce prisonnier était un beau jeune homme, à la fleur de l’âge, un coq-plumet de la jeune cour, M. le duc de Richelieu lui-même. Il s’était plongé, comme un étourdi et pour le vain plaisir d’une nouveauté qui lui semblait piquante, dans la conspiration de Cellamare, et peu s’en fallut qu’il ne payât son étourderie un peu cher. Mais le moyen de livrer au bourreau le dernier héritier du cardinal de Richelieu ? Il était déjà le bienvenu du jeune roi ; il était l’ornement de la cour ; ses bons mots, ses exploits, sa jeunesse enfin, tout parlait en sa faveur.

Mais la Bastille lui était insupportable, et quand il apprit par le chevalier de Maison-Rouge que la confidente de Mme la duchesse du Maine était logée à la Bertandière, une tour qui faisait face à la Liberté, M. de Richelieu n’eut pas de cesse et de fin qu’on n’eût enlevé les clôtures de l’une et de l’autre fenêtre, et le voilà qui se met à chanter à haute voix, mieux que n’eût fait le fameux Lambert ou le célèbre Cocherot de l’Opéra, l’opéra d’Iphigénie. Il chantait le rôle d’Oreste, et Mlle de Launay fut bientôt Iphigénie. On n’avait rien entendu de pareil depuis le roi Louis XI. Les plus anciens détenus, ceux qui étaient au secret depuis vingt ans, se demandaient s’ils n’étaient pas le jouet d’un songe. A