Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/138

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retrouvé mon grade et mon escadron, et ma louange étant épuisée, on n’a plus parlé de moi. Cependant je suis fatigué ; j’en ai assez de la guerre. Ah ! si j’avais seulement quelque bout de ferme où je pourrais, en travaillant, gagner douze cents francs de rentes... Mais je suis pauvre et fils d’une humble famille. Il me faut attendre absolument la croix d’or et le titre de colonel. Toutes ces fortunes réunies, j’irai retrouver mon père, un capitaine marchand du port de Honfleur. Voilà toute mon espérance. Acceptez cependant que je vous offre une modeste absinthe, comme autrefois, quand nous étions à l’École militaire et que la cantinière nous refusait le crédit.

La jeune fille ne perdait pas un mot de cette conversation, où se montraient, dans un jour si modeste, le courage et la bonté du soldat. Mariette aussi enfouissait dans son cœur tous les rêves de son commandant. A la fin, le lieutenant prit congé de Martin, et voyant Zémire endormie :

— Au moins, dit-il, vous avez là un joli camarade, et vous êtes sûr d’être aimé.

— Ce n’est pas à moi, répondit Martin, ça dort comme un enfant sur le premier venu. C’est vraiment une bête charmante.

Ce fut en ce moment que Mariette ayant soldé la carte à payer, les trois dames se levèrent pour sortir, non pas sans faire un beau salut au commandant Martin. La jeune fille, en rougissant, balbutia quelques excuses ; la vieille dame entreprit d’expliquer comment elle s’appelait la marquise d’Escars, et qu’elle serait heureuse d’ouvrir au commandant les portes de son hôtel de la rue de l’Université. Mariette eût voulu pour beaucoup embrasser le blessé de Solférino et lui donner sa croix d’or, qui brillait comme un rendez-vous de soleils ; mais, avec des