Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/188

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tard ; il eut la fièvre à la mort de M. de Louvois, une fièvre suivie d’un grand mal de tête. En revanche, il fut très bien portant dans sa campagne de Flandre. En ces mêmes instants où tant de médecins contemplaient le bassin du roi pour en tirer tant de pronostics, il y avait dans le Nord un prince, appelé Charles XII, qui s’endormait, tout botté, sur la glace, et qui faisait dix lieues à cheval, après être resté cinq jours sans boire ni manger !

Cet homme était de for ; Louis XIV, en un seul jour, absorbait plus de médecines que Charles XII n’en prit en toute sa vie, et comme il eût souri de pitié, le Suédois, si on lui eût raconta que le roi, son frère, avait été purgé onze fois en un seul jour !

Et comme on s’étonne aussi de cette chambre à coucher du palais de Versailles où le froid pénètre, et de ce lit royal dont les punaises empêchent le roi de dormir un soir que Sa Majesté avait mangé beaucoup d’esturgeon et de sardines salées avec du ragoût de bœuf aux concombres, quantité de gibier et beaucoup de fromage et raisin muscat.

Les courtisans d’autrefois auraient écouté tout ce récit avec l’intérêt qu’ils portaient aux contes de Perrault. Les lecteurs d’aujourd’hui (il n’y a plus de courtisans, Dieu merci !) trouveront peut-être que nous pouvions ne pas aller si loin ; mais le moyen d’effacer tout un gros tome, écrit par des mains si savantes ? Permettez-nous cependant un dernier détail dans lequel la lâcheté des hommes apparaît dans tout son jour. Tant que le roi est resté le tout-puissant, le journal de sa santé est écrit d’une main pieuse ; aussitôt que disparaît sa fortune, on voit disparaître en même temps le souci de sa garde-robe. Enfin, quatre ans avant sa mort, dans ces derniers jours où la santé des vieillards est soumise à tant de variations,