Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/232

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e amoureuse. Ainsi je ne suis point un étranger pour vous ; vous me devez votre amitié ; je la réclame et je la veux. Hier soir, je vous vis entrer dans ce logis, et je vous reconnus du premier coup d’oeil ; mais ce matin, voyant que personne en cette ville ne savait votre arrivée, et que vous aviez passé la nuit dans nos murs, j’ai gardé le silence.

— Et vous avez bien fait, reprit M. Fauvel ; mon incognito était une garantie. Ils sont là dedans une douzaine de coquins des deux sexes qui croient tenir Mme de Saint-Géran et sa nièce dans leurs filets. Dieu merci, je sais leurs projets, et j’espère avant peu les déjouer. Voulez-vous être avec moi de moitié dans cette bonne action ?

Alors ces deux jeunes gens (il n’y avait entre eux qu’une légère différence d’âge) s’entendirent à merveille, et le poète remarqua tout de suite à quel point s’était éveillé l’esprit du jeune officier à jouer ses petites comédies. Ils s’occupèrent tout d’abord du don Juan, dont on entendait confusément les paroles. M. Romain était la bête noire de Gustave, qui l’avait traité comme un pleutre en toute occasion, dans le collège, hors du collège.

— Il n’y a pas de clerc d’huissier qui ne soit plus intelligent que ce Romain, disait-il. Il est insolent et lâche, et si, par hasard, il rencontre un homme intimidé de son bruit, vous mourriez de rire à voir ses airs de matamore. Or, que la ville entière ait choisi justement ce triste sire pour en faire le mari de la plus belle et de la plus honnête personne de tout le département, voilà ce qui s’appelle une méchanceté sans exemple. Et cependant il crie à haute voix sa victoire ; il l’escompte à tous les estaminets du grand chemin ; il la raconte à tous les commis voyageurs. Son audace égale au moins sa sottise ; et songer