Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/234

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dix heures, je ne l’avais jamais vue. Il faut cependant que vous y veniez dîner avec moi ; et, comme une difficulté de plus ajoute aux ardeurs d’une grande âme, nous aurons soin d’entrer les derniers, quand les convives seront au grand complot. Mais, s’il vous plaît, passez dans mon salon, mettez-vous à la fenêtre, et voyez ce qui se passe autour de nous.

Et, pendant que son jeune complice se tenait à la fenêtre, M. Fauvel faisait une grande toilette, à la façon des petits-maîtres du Gymnase. En ces beaux jours d’un automne resplendissant, il se permit le pantalon de nankin, le gilet de piqué blanc à la Robespierre et l’habit bleu à boutons d’or, rehaussé d’une fraîche rosette d’officier de la Légion d’honneur ; des bas de soie et des escarpins en cuir verni, des gants d’un gris clair, et tout ce que le beau linge a de plus parfait, sans oublier une cravate noire à petits pois et deux manchettes en linon plissé ; pas un bijou ; un mouchoir de batiste à rendre jalouses toutes les demoiselles de la maison Levallois ; des cheveux bouclés par la nature un peu, et beaucoup par la main de M. Jean, tel était ce jeune homme en ses belles années. S’il n’était point tout à fait beau, il avait la grâce et l’attrait ; l’intelligence était dans son sourire, et la volonté dans son regard.

Né timide, il avait conquis peu à peu l’assurance heureuse d’un homme honoré de tous les honnêtes gens, qui marche à grands pas dans le grand chemin de la fortune, et qui se dit à lui-même :

— Nul n’aura de reproches à me faire, et pas un seul petit écu que je n’aie gagné en donnant à la foule attentive de sages leçons, de bons conseils, une innocente et saine gaieté. Au milieu de tant de fortunes qui ont coûté tant de larmes, qui représentent tant de douleurs, le déshonneur