Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/239

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orçait de reprendre le fil de la conversation qui s’était brisé entre ses mains, il avait perdu tout crédit ; il sentait le sol se dérober sous ses pas ; ses meilleures plaisanteries étaient à peine écoutées ; ses bons mots, que chacun, il n’y a qu’un instant, admirait en toute confiance, étaient semblables à des flèches émoussées, et quand le Jolibois, très interdit, très mécontent, annonça que madame était servie, en vain M. Romain offrit son bras à la dame.

— Apprenez, Monsieur, lui dit le poète, que c’est un des privilèges de ma cousine de choisir le convive à sa droite, et je lui conseille d’offrir son bras et la place d’honneur à son notaire, M. Urbain. Quant à vous, mon officier, vous ne demanderez pas mieux que de conduire à la petite table Mlle Laure. En même temps, il offrait son bras à une bonne femme, au visage aimable et gai, et qui semblait toute contente.

— Ah ! disait-elle, Dieu soit loué, voici M. Romain remis à sa place, et je savais bien que vous n’abandonneriez pas votre aimable cousine à tant de perfides conseils.

Et, cette fois, Mme de Saint-Géran, entourée à souhait par ce bel esprit qui semblait l’avoir adoptée, et par ce brave homme de notaire qui l’aimait de toute son âme ; heureuse aussi du gazouillement de la petite table et parfaitement oublieuse du beau Romain, qui ne songeait plus qu’à manger, le dîner fut parfaitement agréable. Elle avait déjà pardonné cette conjuration presque innocente, qui s’explique facilement par l’ennui d’une petite ville. Plusieurs incidents égayèrent encore ce repas commencé sous de tristes auspices.

Au dessert, comme on offrait à ces messieurs du vin de Champagne et du vin de Bordeaux :

— Non, non, disait M. Fauvel, ne soyons pas infidèles