Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/270

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oublées ; mais sitôt qu’ils possédèrent la reine Marguerite, ces pays maltraités oublièrent, pour un instant, leur cruel ressentiment. Ce fut à qui serait le plus hospitalier pour la princesse, et les plus belles Flamandes, familières et joyeuses (c’est leur naturel), accoururent au-devant de l’étrangère avec tant de grâce et d’honnêteté, qu’elles la retinrent pendant huit jours. L’une d’elles, la principale de la ville, nourrissait son enfant de son lait, et comme elle était assise à table à côté de Marguerite, la princesse admira tout à son aise la belle Flamande et le costume qu’elle portait :

« Elle étoit parée à ravir et couverte de pierreries et de broderies, avec une rabille à l’espagnole de toile d’or noire, avec des bandes de broderie de canetille d’or et d’argent, et un pourpoint de toile d’argent blanche en broderie d’or, avec de gros boutons de diamants (habit approprié à l’office de nourrice). »

Ainsi faite, elle était éblouissante ; mais écoutez la suite et le couronnement du festin. Quand on fut au dessert, la jeune mère eut souci de son nourrisson et fit signe qu’on le lui apportât. « On lui apporta l’enfant, emmailloté aussi richement qu’estoit vestuë la nourrice. Elle le mit entre nous deux sur la table, et librement donna à teter à son petit. Ce qui eust été tenu à incivilité à quelqu’autre ; mais elle le faisoit avec tant de grâce et de naïveté, comme toutes ses actions en étoient accompagnées, qu’elle en reçut autant de louanges que la compagnie de plaisir. » Si vous aimez les tableaux flamands, en voilà un tracé de main de maître, avec une extrême élégance, et c’est grand dommage que dans ces Flandres, fécondes en grands artistes, pas un n’ait songé à reproduire sur une toile intelligente un si charmant