Page:Janin - Contes, nouvelles et récits, 1885.djvu/63

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militaire, à la démarche un peu grave et le front pensif. Il avait beaucoup vieilli en peu de temps ; rien ne vieillit un militaire comme une guerre malheureuse. Celui-là, nous l’avons dit, était venu à la mauvaise heure, après M. de Turenne, après les grandes victoires, les villes conquises, les batailles gagnées, les Te Deum et les drapeaux que le victorieux va suspendre aux voûtes sacrées de l’hôtel royal des Invalides. « Monsieur le maréchal, on n’est plus heureux à notre âge, » disait Louis XIV à l’un de ses généraux vaincus... Louis XIV et le maréchal de Villeroi en parlaient bien à leur aise ; ils avaient la gloire ancienne en consolation de la défaite présente ; mais les jeunes gens, les nouveaux-nés, appelés les derniers à la gloire, où donc était leur consolation de n’arriver qu’à la défaite ?

En ces tristes pensées vivait depuis longtemps le comte de Silly. Il avait beau payer de sa personne, être au premier rang des combattants, pousser le soldat aux ennemis, appeler de toute sa voix la victoire à son aide... il y avait toujours un moment où il fallait céder, reculer, repasser le fossé, incendier la ville assiégée et sortir la nuit aux pétillements de ces clartés funèbres. Que disons-nous ? et ce moment funeste où le plus vaillant rend son épée, et ces longs sentiers par lesquels il faut passer, conduit par la cohorte ennemie ; et ces femmes, ces enfants, ces vieillards, parmi les victorieux, qui disent, vous désignant d’un doigt méprisant : Voilà des vaincus, des prisonniers ! C’étaient là des angoisses insupportables, et M. de Silly, porteur d’une épée qui ne lui appartenait plus, rentra chez lui triste, abattu, la tête courbée, imposant silence aux cris de joie. Il baisa la main de sa mère sans mot dire, et dans les bras de son père il pleura. Le père aussi pleurait la gloire passée ; il avait, par